Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 3.djvu/86

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Je finirois si vous ne m’aviez obligé à lire votre épître du Duc d’Ossonne : vous nous y renvoyez pour y voir votre modestie qui est si grande, que dès le titre vous traitez le procureur général de votre parlement comme vous feriez un procureur fiscal de quelqu’une de vos hautes justices[1]. Cette arrogante familiarité avec un des principaux magistrats de votre pays débutoit assez bien, et vous eût fait passer pour homme de marque, si dans votre épître la bassesse de votre inclination n’eût découvert celle de votre naissance. Ce souhait famélique d’être reçu au Louvre avec des hécatombes de Poissy[2], tient fort de votre pauvreté originelle ; et puisque vous êtes si affamé, vous serez aisé à accorder sur ce point avec M. Corneille, qui se contentera toujours de ces honorables fumées du cabinet dont vous êtes si dégoûté, cependant qu’on vous envoyera dans les offices vous soûler de cette viande délicate pour qui vous avez tant d’appétit.

Le reste de cette épître n’est que vanité : vous vous perdez dans la réflexion de vos grandes productions, et vous vantez d’avoir été l’idée universelle des grands génies que vous nommez, comme s’il étoit à croire qu’ils vous eussent considéré[3].

  1. Cette dédicace est intitulée : « A tres-docte et très-ingenieux Anthoine Brun, procureur general au Parlement de Dole, epitre dedicatoire, comique et familiere, » et elle commence par ces mots : « Monsieur mon tres-cher ami. »
  2. « Il est vrai qu’on nous fait au Louvre des sacrifices de louanges et de fumées, comme si nous étions les dieux de l’antiquité les plus délicats, où nous aurions besoin qu’on nous traitât plus grossièrement, et qu’on nous offrît plutôt de bonnes hécatombes de Poissy, avec une large effusion de vin d’Arbois, de Beaune et de Coindrieux. »
  3. « Il est très-vrai que si mes premiers ouvrages ne furent guère bons, au moins ne peut-on nier qu’ils n’ayent été l’heureuse semence de beaucoup d’autres meilleurs, produits par les fécondes plumes de MM. de Rotrou, de Scudéry, Corneille et du Ryer, que je nomme ici suivant l’ordre du temps qu’ils ont commencé d’écrire après moi, et de quelques autres, dont la réputation ira quelque jour jusques à vous ; particulièrement de deux jeunes auteurs des tragédies de Cléopatre et de Mithridate, de qui l’apprentissage est un demi-chef-d’œuvre qui donne de merveilleuses espérances des belles choses qu’ils pourront faire à l’avenir. »