Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 3.djvu/96

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et si je n’en avois vu depuis peu les marques dans cette admirable lettre qu’il a écrite sur ce sujet, et qui ne fait pas la moindre richesse des deux derniers trésors qu’il nous a donnés[1]. Or comme tout ce qui part de sa plume regarde toute la postérité, maintenant que mon nom est assuré de passer jusqu’à elle dans cette lettre incomparable, il me seroit honteux qu’il y passât avec cette tache, et qu’on pût à jamais me reprocher d’avoir compromis de ma réputation. C’est une chose qui jusqu’à présent est sans exemple ; et de tous ceux qui ont été attaqués comme moi, aucun que je sache n’a eu assez de foiblesse pour convenir d’arbitres avec ses censeurs ; et s’ils ont laissé tout le monde dans la liberté publique d’en juger, ainsi que j’ai fait, ç’a été sans s’obliger, non plus que moi, à en croire personne ; outre que dans la conjoncture où étoient lors les affaires du Cid, il ne falloit pas être grand devin pour prévoir ce que nous en avons vu arriver. À moins que d’être tout à fait stupide, on ne pouvoit pas ignorer que comme les questions de cette nature ne concernent ni la religion ni l’État, on en peut décider par les règles de la prudence humaine, aussi bien que par celles du théâtre, et tourner sans scrupule le sens du bon Aristote du côté de la politique[2]. Ce n’est pas que je sache si ceux qui ont jugé du Cid en ont jugé suivant leur sentiment ou non, ni même que je veuille dire qu’ils en ayent bien ou mal jugé, mais seulement que ce n’a ja-

  1. Allusion aux Lettres choisies du Sieur de Balzac. Paris, Augustin Courbé, 1647, in-8o, 2 parties. La lettre à Scudéry figure à la p. 394 de la Ire partie. — Il faut se souvenir que cet Avertissement a paru pour la première fois dans l’édition de 1648 : voyez ci-dessus, p. 79, note i.
  2. « Tourner sans scrupule le sens du bon Aristote du côté de la politique » paraît signifier, d’après l’ensemble du passage, « tourner le sens d’Aristote du côté de la politique de celui qui l’interprète, de ses opinions, de ses intérêts, de ses passions. »