Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 4.djvu/440

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bien qu’ils n’accepteroient pas. Si le traité de paix l’avoit forcée à se départir de ce juste sentiment de reconnoissance[1], la liberté qu’ils lui rendoient la rejetoit dans cette obligation. Il étoit de son devoir de venger cette mort ; mais il étoit de celui des princes de ne se pas charger de cette vengeance. Elle avoue elle-même à Antiochus qu’elle les haïroit, s’ils lui avoient obéi ; que comme elle a fait ce qu’elle a dû par cette demande, ils font ce qu’ils doivent par leur refus[2] ; qu’elle aime trop la vertu pour vouloir être le prix d’un crime, et que la justice qu’elle demande de la mort de leur père seroit un parricide, si elle la recevoit de leurs mains.

Je dirai plus : quand cette proposition seroit tout à fait condamnable en sa bouche, elle mériteroit quelque grâce et pour l’éclat que la nouveauté de l’invention a fait au théâtre, et pour l’embarras surprenant où elle jette les princes, et pour l’effet qu’elle produit dans le reste de la pièce, qu’elle conduit à l’action historique. Elle est cause que Séleucus, par dépit, renonce au trône et à la possession de cette princesse ; que la Reine, le voulant animer contre son frère, n’en peut rien obtenir, et qu’enfin elle se résout par désespoir de les perdre tous deux, plutôt que de se voir sujette de son ennemie.

Elle commence par Séleucus, tant pour suivre l’ordre de l’histoire, que parce que, s’il fût demeuré en vie après Antiochus et Rodogune, qu’elle vouloit empoisonner publiquement, il les auroit pu venger. Elle ne craint pas la même chose d’Antiochus pour son frère, d’autant qu’elle espère que le poison violent qu’elle lui a préparé fera un effet assez prompt pour le faire mourir avant

  1. Var. (édit. de 1660 et de 1663) : de ce juste sentiment de reconnoissance pour le bien des deux États.
  2. L’édition de 1692 donne par leurs refus, au pluriel.