Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 4.djvu/467

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Mais à peine son bras en relève la chute[1],
Que par lui de nouveau le sort me persécute :
545Maître de votre État, par sa valeur sauvé,
Il s’obstine à remplir ce trône relevé ;
Qui lui parle de vous attire sa menace.
Il n’a défait Tryphon que pour prendre sa place ;
Et de dépositaire et de libérateur,
550Il s’érige en tyran et lâche usurpateur.
Sa main l’en a puni : pardonnons à son ombre ;
Aussi bien en un seul voici des maux sans nombre.
Nicanor votre père, et mon premier époux…
Mais pourquoi lui donner encor des noms si doux,
555Puisque l’ayant cru mort, il sembla ne revivre
Que pour s’en dépouiller afin de nous poursuivre[2] ?
Passons ; je ne me puis souvenir sans trembler
Du coup dont j’empêchai qu’il nous pût accabler :
Je ne sais s’il est digne ou d’horreur ou d’estime,
560S’il plut aux Dieux ou non, s’il fut justice ou crime ;
Mais soit crime ou justice, il est certain, mes fils,
Que mon amour pour vous fit tout ce que je fis :
Ni celui des grandeurs ni celui de la vie
Ne jeta dans mon cœur cette aveugle furie.
565J’étois lasse d’un trône où d’éternels malheurs
Me combloient chaque jour de nouvelles douleurs.
Ma vie est presque usée, et ce reste inutile
Chez mon frère avec vous trouvoit un sûr asile ;
Mais voir, après douze ans et de soins et de maux,
570Un père vous ôter le fruit de mes travaux ;

  1. Var. Je n’en fus point trompée, il releva sa chute ;
    Mais par lui de nouveau mon sort me persécute :
    Ce trône relevé lui plaît à retenir ;
    Il imite Tryphon, qu’il venoit de punir ;
    Qui lui parle de vous irrite sa colère ;
    C’est un crime envers lui que les pleurs d’une mère. (1647-56)
  2. Var. Que pour les dépouiller afin de nous poursuivre ? (1647-56)