Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 5.djvu/173

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On en fit dégoutter plus de lait que de sang.
Et ce prodige affreux, dont je tremblai dans l’âme,
Fut aussitôt suivi de la mort de ma femme.
Il me souvient encor qu’il fut deux jours caché
Et que sans Léontine on l’eût longtemps cherché :
Il fut livré par elle, à qui, pour récompense,
Je donnai de mon fils à gouverner l’enfance
Du jeune Martian, qui, d’âge presque égal,
Etait resté sans mère en ce moment fatal.
Juge par là combien ce conte est ridicule.

Crispe

Tout ridicule, il plaît, et le peuple est crédule.
Mais avant qu’à ce conte il se laisse emporter,
Il vous est trop aisé de le faire avorter :
Quand vous fîtes périr Maurice et sa famille,
Il vous en plut, seigneur, réserver une fille,
Et résoudre dès lors qu’elle aurait pour époux
Ce prince destiné pour régner après vous.
Le peuple en sa personne aime encore et révère
Et son père Maurice et son aïeul Tibère,
Et vous verra sans trouble en occuper le rang
S’il voit tomber leur sceptre au reste de leur sang.
Non, il ne courra plus après l’ombre du frère
S’il voit monter la sœur sur le trône du père.
Mais pressez cet hymen : le prince aux champs de Mars,
Chaque jour, chaque instant, s’offre à mille hasards,
Et n’eût été Léonce, en la dernière guerre,
Ce dessein avec lui serait tombé par terre,
Puisque, sans la valeur de ce jeune guerrier,
Martian demeurait ou mort ou prisonnier.
Avant que d’y périr, s’il faut qu’il y périsse,