Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 5.djvu/455

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée


Et quand j’aurais des feux dignes de votre haine,
Si votre âme, sensible à ces indignes feux,
Se pouvait oublier jusqu’à souffrir mes vœux ;
Si par quelque malheur que je ne puis comprendre,
Du trône jusqu’à moi je la voyais descendre,
Commençant aussitôt à vous moins estimer,
Je cesserais sans doute aussi de vous aimer.
L’amour que j’ai pour vous est tout à votre gloire :
Je ne vous prétends point pour fruit de ma victoire ;
Je combats vos amants, sans dessein d’acquérir
Que l’heur d’en faire voir le plus digne, et mourir ;
Et tiendrais mon destin assez digne d’envie,
S’il le faisait connaître aux dépens de ma vie.
Serait-ce à vos faveurs répondre pleinement
Que hasarder ce choix à mon seul jugement ?
Il vous doit un époux, à la Castille un maître :
Je puis en mal juger, je puis les mal connaître.
Je sais qu’ainsi que moi le démon des combats
Peut donner au moins digne et vous et vos états ;
Mais du moins, si le sort des armes journalières
En laisse par ma mort de mauvaises lumières,
Elle m’en ôtera la honte et le regret ;
Et même si votre âme en aime un en secret,
Et que ce triste choix rencontre mal le vôtre,
Je ne vous verrai point, entre les bras d’un autre,
Reprocher à Carlos par de muets soupirs
Qu’il est l’unique auteur de tous vos déplaisirs.


DONA ISABELLE

Ne cherchez point d’excuse à douter de ma flamme,
Marquis ; je puis aimer, puisqu’enfin je suis femme ;
Mais, si j’aime, c’est mal me faire votre cour
Qu’exposer au trépas l’objet de mon amour ;
Et toute votre ardeur se serait modérée
À m’avoir dans ce doute assez considérée :