Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 5.djvu/544

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée


A suivre leur devoir leurs hauts faits se ternissent ;
Et ces grands cœurs, enflés du bruit de leurs combats,
Souverains dans l’armée et parmi leurs soldats,
Font du commandement une douce habitude
Pour qui l’obéissance est un métier bien rude.

Prusias. Dis tout, Araspe, dis que le nom de sujet
Réduit toute leur gloire en un rang trop abject ;
Que, bien que leur naissance au trône les destine,
Si son ordre est trop lent, leur grand cœur s’en mutine ;
Qu’un père garde trop un bien qui leur est dû,
Et qui perd de son prix étant trop attendu ;
Qu’on voit naître de là mille sourdes pratiques
Dans le gros de son peuple et dans ses domestiques ;
Et que, si l’on ne va jusqu’à trancher le cours
De son règne ennuyeux et de ses tristes jours,
Du moins une insolente et fausse obéissance,
Lui laissant un vain titre, usurpe sa puissance.

Araspe. C’est ce que de tout autre il faudrait redouter,
Seigneur, et qu’en tout autre il faudrait arrêter.
Mais ce n’est pas pour vous un avis nécessaire ;
Le prince est vertueux, et vous êtes bon père.

Prusias. Si je n’étais bon père, il serait criminel :
Il doit son innocence à l’amour paternel ;
C’est lui seul qui l’excuse et qui le justifie,
Ou lui seul qui me trompe et qui me sacrifie.
Car je dois craindre enfin que sa haute vertu
Contre l’ambition n’ait en vain combattu ;
Qu’il ne force en son cœur la nature à se taire.
Qui se lasse d’un roi peut se lasser d’un père ;