Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 5.djvu/546

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On n’attend point alors qu’il s’ose tout permettre ;
C’est un crime d’Etat que d’en pouvoir commettre ;
Et qui sait bien régner l’empêche prudemment
De mériter un juste et plus grand châtiment,
Et prévient, par un ordre à tous deux salutaire,
Ou les maux qu’il prépare ou ceux qu’il pourrait faire.
Mais, seigneur, pour le prince, il a trop de vertu ;
Je vous l’ai déjà dit.

Prusias. Et m’en répondras-tu ?
Me seras-tu garant de ce qu’il pourra faire
Pour venger Annibal ou pour perdre son frère ?
Et le prends-tu pour homme à voir d’un œil égal
Et l’amour de son frère et la mort d’Annibal ?
Non, ne nous flattons point : il court à sa vengeance :
Il en a le prétexte, il en a la puissance ;
Il est l’astre naissant qu’adorent mes Etats ;
Il est le dieu du peuple et celui des soldats ;
Sûr de ceux-ci, sans doute il vient soulever l’autre,
Fondre avec son pouvoir sur le reste du nôtre :
Mais ce peu qui m’en reste, encor que languissant,
N’est pas peut-être encor tout à fait impuissant.
Je veux bien toutefois agir avec adresse,
Joindre beaucoup d’honneur à bien peu de rudesse,
Le chasser avec gloire, et mêler doucement
Le prix de son mérite à mon ressentiment.
Mais s’il ne m’obéit ou s’il ose s’en plaindre,
Quoi qu’il ait fait pour moi, quoi que j’en voie à craindre,
Dussé-je voir par là tout l’Etat hasardé…

Araspe. Il vient.