Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 7.djvu/220

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DOMITIAN.

Hélas ! Si je n’ai pu vous obtenir d’un père,
Si même je ne puis vous obtenir de vous,
Qu’obtiendrai-je d’un frère amoureux et jaloux ?

DOMITIE.

Et moi, résisterai-je à sa toute-puissance,
180Quand vous n’y répondez qu’avec obéissance ?
Moi qui n’ai sous les cieux que vous seul pour soutien,
Que puis-je contre lui, quand vous n’y pouvez rien ?

DOMITIAN.

Je ne puis rien sans vous, et pourrois tout, Madame,
Si je pouvois encor m’assurer de votre âme.

DOMITIE.

185Pouvez-vous en douter, après deux ans de pleurs
Qu’à vos yeux j’ai donnés à nos communs malheurs ?
Durant un déplaisir si long et si sensible
De voir toujours un père à nos vœux inflexible,
Ai-je écouté quelqu’un de tant de soupirants
190Qui m’accabloient partout de leurs regards mourants ?
Quel que fût leur amour, quel que fût leur mérite…

DOMITIAN.

Oui, vous m’avez aimé jusqu’à l’amour de Tite.
Mais de ces soupirants qui vous offroient leur foi
Aucun ne vous eût mise alors si haut que moi ;
195Votre âme ambitieuse à mon rang attachée
N’en voyoit point en eux dont elle fût touchée :
Ainsi de ces rivaux aucun n’a réussi.
Mais les temps sont changés, Madame, et vous aussi.

DOMITIE.

Non, seigneur : je vous aime, et garde au fond de l’âme
200Tout ce que j’eus pour vous de tendresse et de flamme :
L’effort que je me fais me tue autant que vous ;
Mais enfin l’Empereur veut être mon époux.