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ACTE III


Scène première.

ORODE, SILLACE.
SILLACE.

Je l’ai vu par votre ordre, et voulu par avance
Pénétrer le secret de son indifférence.
695Il m’a paru, Seigneur, si froid, si retenu…
Mais vous en jugerez quand il sera venu.
Cependant je dirai que cette retenue
Sent une âme de trouble et d’ennuis prévenue ;
Que ce calme paroît assez prémédité
700Pour ne répondre pas de sa tranquillité ;
Que cette indifférence a de l’inquiétude,
Et que cette froideur marque un peu trop d’étude.

ORODE.

Qu’un tel calme, Sillace, a droit d’inquiéter
Un roi qui lui doit tant, qu’il ne peut s’acquitter !
705Un service au-dessus de toute récompense
À force d’obliger tient presque lieu d’offense[1] :
Il reproche en secret tout ce qu’il a d’éclat,
Il livre tout un cœur au dépit d’être ingrat.

  1. Corneille avait dit au Ier acte, scène ii, de Cinna (vers 73 et 74) :

    Les bienfaits ne font pas toujours ce que tu penses ;
    D’une main odieuse ils tiennent lieu d’offenses ;

    et Racine, au IVe acte, scène vi, de son Iphigénie, qui fut jouée plusieurs mois
    avant Suréna, en février 1674 :

    Un bienfait reproché tint toujours lieu d’offense.