Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 7.djvu/525

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EURYDICE.

Je m’emporte et m’aveugle un peu moins qu’on ne pense :
Pour l’avouer vous-même, entrons en confidence.
1195Seigneur, je vous regarde en qualité d’époux :
Ma main ne sauroit être et ne sera qu’à vous ;
Mes vœux y sont déjà, tout mon cœur y veut être :
Dès que je le pourrai, je vous en ferai maître ;
Et si pour s’y réduire il me fait différer,
1200Cet amant si chéri n’en peut rien espérer.
Je ne serai qu’à vous, qui que ce soit que j’aime,
À moins qu’à vous quitter vous m’obligiez vous-même ;
Mais s’il faut que le temps m’apprenne à vous aimer,
Il ne me l’apprendra qu’à force d’estimer ;
1205Et si vous me forcez à perdre cette estime,
Si votre impatience ose aller jusqu’au crime…
Vous m’entendez, Seigneur, et c’est vous dire assez
D’où me viennent pour vous ces vœux intéressés.
J’ai part à votre gloire, et je tremble pour elle
1210Que vous ne la souilliez d’une tache éternelle,
Que le barbare éclat d’un indigne soupçon
Ne fasse à l’univers détester votre nom,
Et que vous ne veuilliez[1] sortir d’inquiétude
Par une épouvantable et noire ingratitude.
1215Pourrois-je après cela vous conserver ma foi,
Comme si vous étiez encor digne de moi ;
Recevoir sans horreur l’offre d’une couronne,
Toute fumante encor du sang qui vous la donne,
Et m’exposer en proie aux fureurs des Romains,
1220Quand pour les repousser vous n’aurez plus[2] de mains ?
Si Crassus est défait, Rome n’est pas détruite :
D’autres ont ramassé les débris de sa fuite,

  1. L’édition de 1692 a changé veuilliez en vouliez.
  2. L’édition de 1692 et celle de Voltaire (1764) ont changé plus en point.