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ACTE V


Scène première.

ORODE, EURYDICE.
ORODE.

Ne me l’avouez point : en cette conjoncture,
Le soupçon m’est plus doux que la vérité sûre ;
L’obscurité m’en plaît, et j’aime à n’écouter
Que ce qui laisse encor liberté d’en douter.
1385Cependant par mon ordre on a mis garde aux portes,
Et d’un amant suspect dispersé les escortes,
De crainte qu’un aveugle et fol emportement
N’allât, et malgré vous, jusqu’à l’enlèvement.
La vertu la plus haute alors cède à la force ;
1390Et pour deux cœurs unis l’amour a tant d’amorce,
Que le plus grand courroux qu’on voie y succéder[1]
N’aspire qu’aux douceurs de se raccommoder.
Il n’est que trop aisé de juger quelle suite
Exigeroit de moi l’éclat de cette fuite ;
1395Et pour n’en pas venir à ces extrémités,
Que vous l’aimiez ou non, j’ai pris mes sûretés.

EURYDICE.

À ces précautions je suis trop redevable ;
Une prudence moindre en seroit incapable,
Seigneur ; mais dans le doute où votre esprit se plaît,
1400Si j’ose en ce héros prendre quelque intérêt,
Son sort est plus douteux que votre incertitude,

  1. Dans l’édition de Voltaire (1764) : « qu’on voit y succéder. »