Page:Corneille - Œuvres complètes Didot 1855 tome 1.djvu/98

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Célidan

Ah ! je cherchais une heure avec toi d’entretien ;

Ta rencontre jamais ne fut plus opportune.

Alcidon

En quel point as-tu mis l’état de ma fortune ?

Célidan

Tout va le mieux du monde. Il ne se pouvait pas

Avec plus de succès supposer un trépas ;

Clarice au désespoir croit Philiste sans vie.

Alcidon

Et l’auteur de ce coup ?

Célidan

Celui qui l’a ravie,

Un amant inconnu dont je lui fais parler.

Alcidon

Elle a donc bien jeté des injures en l’air ?

Célidan

Cela s’en va sans dire.

Alcidon

Ainsi rien ne l’apaise ?

Célidan

Si je te disais tout, tu mourrais de trop d’aise.

Alcidon

Je n’en veux point qui porte une si dure loi.

Célidan

Dans ce grand désespoir elle parle de toi.

Alcidon

Elle parle de moi !

Célidan

"J’ai perdu ce que j’aime,

Dit-elle ; mais du moins si cet autre lui-même,

Son fidèle Alcidon, m’en consolait ici ! "

Alcidon

Tout de bon ?

Célidan

Son esprit en paraît adouci.

Alcidon

Je ne me pensais pas si fort dans sa mémoire.

Mais non, cela n’est point, tu m’en donnes à croire.

Célidan

Tu peux, dans ce jour même, en voir la vérité.

Alcidon

J’accepte le parti par curiosité.

Dérobons-nous ce soir pour lui rendre visite.

Célidan

Tu verras à quel point elle met ton mérite.

Alcidon

Si l’occasion s’offre, on peut la disposer,

Mais comme sans dessein…

Célidan

J’entends, à t’épouser.

Alcidon

Nous pourrons feindre alors que par ma diligence

Le concierge, rendu de mon intelligence,

Me donne un accès libre aux lieux de sa prison ;

Que déjà quelque argent m’en a fait la raison,

Et que, s’il en faut croire une juste espérance,

Les pistoles dans peu feront sa délivrance,

Pourvu qu’un prompt hymen succède à mes désirs.

Célidan

Que cette invention t’assure de plaisirs !

Une subtilité si dextrement tissue

Ne peut jamais avoir qu’une admirable issue.

Alcidon

Mais l’exécution ne s’en doit pas surseoir.

Célidan

Ne diffère donc point. Je t’attends vers le soir ;

N’y manque pas. Adieu. J’ai quelque affaire en ville.

Alcidon, seul.

O l’excellent ami ! qu’il a l’esprit docile !

Pouvais-je faire un choix plus commode pour moi ?

Je trompe tout le monde avec sa bonne foi ;

Et quant à sa Doris, si sa poursuite est vaine,

C’est de quoi maintenant je ne suis guère en peine ;

Puisque j’aurai mon compte, il m’importe fort peu

Si la coquette agrée ou néglige son feu.

Mais je ne songe pas que ma joie imprudente

Laisse en perplexité ma chère confidente ;

Avant que de partir, il faudra sur le tard

De nos heureux succès lui faire quelque part.

Scène IV

Chrysante, Philiste, Doris

Chrisante

Je ne le puis celer, bien que j’y compatisse :

Je trouve en ton malheur quelque peu de justice :

Le ciel venge ta sœur ; ton fol emportement

A rompu sa fortune, et chassé son amant,

Et tu vois aussitôt la tienne renversée,

Ta maîtresse par force en d’autres mains passée.

Cependant Alcidon, que tu crois rappeler,

Toujours de plus en plus s’obstine à quereller.

Philiste

Madame, c’est à vous que nous devons nous prendre

De tous les déplaisirs qu’il nous en faut attendre.

D’un si honteux affront le cuisant souvenir

Eteint toute autre ardeur que celle de punir.

Ainsi mon mauvais sort m’a bien ôté Clarice ;

Mais du reste accusez votre seule avarice.

Madame, nous perdons par votre aveuglement

Votre fils, un ami ; votre fille, un amant.

Doris

Otez ce nom d’amant : le fard de son langage