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ACTE V


Scène I

Agésilas, Xénoclès
xenocles

Je remets en vos mains et l’une et l’autre lettre
Que l’esclave Damis aux miennes vient de mettre.
Vous y verrez, Seigneur, quels sont les attentats…

agésilas

Au sénateur Cratès, à l’éphore Arsidas.
Spitridate et Cotys sont de l’intelligence ?

xenocles

Non ; il s’est caché d’eux en cette conférence ;
Il a plaint leur malheur, et de tout son pouvoir ;
Mais sa prudence enfin tous deux vous les renvoie,
Sans leur donner aucun espoir
D’obtenir que de vous ce qui ferait leur joie.

agésilas

Par cette déférence il croit les mieux aigrir ;
Et rejetant sur moi ce qu’ils ont à souffrir…

xenocles

Vous avez mandé Spitridate,
Il entre ici.

agésilas

Gardons qu’à ses yeux rien n’éclate.


Scène II

Agésilas, Spitridate, Xénoclès
agésilas

Aglatide, Seigneur, a-t-elle encore vos vœux ?

spitridate

Non, Seigneur ; mais enfin ils ne vont pas loin d’elle,
Et sa sœur a fait naître une flamme nouvelle
En la place des premiers feux.

agésilas

Elpinice ?

spitridate

Elle-même.

agésilas

Ainsi toujours pour gendre
Vous vous donnez à Lysander ?

spitridate

Seigneur, contre l’amour peut-on bien se défendre ?
À peine attaque-t-il qu’on brûle de se rendre :
Le plus ferme courage est ravi de céder ;
Et j’ai trouvé ma foi plus facile à reprendre
Que mon cœur à redemander.

agésilas

Si vous considériez…

spitridate

Seigneur, que considère
Un cœur d’un vrai mérite heureusement charmé ?
L’amour n’est plus amour sitôt qu’il délibère,
Et vous le sauriez trop si vous aviez aimé.

agésilas

Seigneur, j’aimais à Sparte et j’aime dans Éphèse.
L’un et l’autre objet est charmant ;
Mais bien que l’un m’ait plu, bien que l’autre me plaise,
Ma raison m’en a su défendre également.

spitridate

La mienne suivrait mieux un plus commun exemple.
Si vous aimez, Seigneur, ne vous refusez rien,
Ou souffrez que je vous contemple
Comme un cœur au-dessus du mien.
Des climats différents la nature est diverse :
La Grèce a des vertus qu’on ne voit point en Perse.
Permettez qu’un Persan n’ose vous imiter,
Que sur votre partage il craigne d’attenter,
Qu’il se contente à moins de gloire,
Et trouve en sa faiblesse un destin assez doux
Pour ne point envier cette haute victoire,
Que vous seul avez droit de remporter sur vous.

agésilas

Mais de mon ennemi rechercher l’alliance !

spitridate

De votre ennemi !

agésilas

Non, Lysander ne l’est pas ;
Mais s’il faut vous le dire, il y court à grands pas.

spitridate

C’en est assez : je dois me faire violence
Et renonce à plus croire ou mes yeux, ou mon cœur.
Ne m’ordonnez-vous rien sur l’hymen de ma sœur ?
Cotys l’aime.

agésilas

Il est roi, je ne suis pas son maître ;
Et Mandane ni vous n’êtes pas mes sujets.
L’aime-t-elle ?

spitridate

Il se peut. Lui ferai-je connaître
Que vous auriez d’autres projets ?

agésilas

C’est me connaître mal ; je ne contrains personne.

spitridate

Peut-être qu’elle n’aime encor que sa couronne ;
Et je ne sais pas bien où pencherait son choix,
Si le ciel lui donnait à choisir de deux rois.
Vous l’avez jusqu’ici de tant d’honneurs comblée,
De tant de faveurs accablée,
Qu’à vos ordres ses vœux sans peine assujettis…

agésilas