Page:Corneille - Polyeucte, édition Masson, 1887.djvu/12

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
8
POLYEUCTE.

Mais après l’hyménée ils sont rois à leur tour.

STRATONICE.

Polyeucte pour vous ne manque point d’amour ;
S’il ne vous traite ici d’entière confidence,
S’il part malgré vos pleurs, c’est un trait de prudence ;
Sans vous en affliger, présumez avec moi
Qu’il est plus à propos qu’il vous cèle pourquoi ;
Assurez-vous sur lui qu’il en a juste cause.
Il est bon qu’un mari nous cache quelque chose,
Qu’il soit quelquefois libre, et ne s’abaisse pas
À nous rendre toujours compte de tous ses pas :
On n’a tous deux qu’un cœur qui sent mêmes traverses ;
Mais ce cœur a pourtant ses fonctions diverses,
Et la loi de l’hymen qui vous tient assemblés
N’ordonne pas qu’il tremble alors que vous tremblez :
Ce qui fait vos frayeurs ne peut le mettre en peine ;
Il est Arménien, et vous êtes Romaine,
Et vous pouvez savoir que nos deux nations
N’ont pas sur ce sujet mêmes impressions.
Un songe en notre esprit passe pour ridicule,
Il ne nous laisse espoir, ni crainte, ni scrupule ;
Mais il passe dans Rome avec autorité
Pour fidèle miroir de la fatalité.

PAULINE.

Quelque peu de crédit que chez vous il obtienne,
Je crois que ta frayeur égalerait la mienne,
Si de telles horreurs t’avoient frappé l’esprit,
Si je t’en avois fait seulement le récit.

STRATONICE.

À raconter ses maux souvent on les soulage.

PAULINE.

Écoute. Mais il faut te dire davantage,
Et que, pour mieux comprendre un si triste discours,
Tu saches ma foiblesse et mes autres amours :
Une femme d’honneur peut avouer sans honte
Ces surprises des sens que la raison surmonte ;
Ce n’est qu’en ces assauts qu’éclate la vertu,
Et l’on doute d’un cœur qui n’a point combattu.