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POLYEUCTE, MARTYR.
TRAGÉDIE CHRÉTIENNE.


ACTE PREMIER.


Scène I.

POLYEUCTE, NÉARQUE.
NÉARQUE.

Quoi ! vous vous arrêtez aux songes d’une femme ?
De si foibles sujets troublent cette grande âme !
Et ce cœur tant de fois dans la guerre éprouvé
S’alarme d’un péril qu’une femme a rêvé !

POLYEUCTE.

Je sais ce qu’est un songe, et le peu de croyance
Qu’un homme doit donner à son extravagance,
Qui d’un amas confus des vapeurs de la nuit
Forme de vains objets que le réveil détruit ;
Mais vous ne savez pas ce que c’est qu’une femme ;
Vous ignorez quels droits elle a sur toute l’âme,
Quand, après un long temps qu’elle a su nous charmer,
Les flambeaux de l’hymen viennent de s’allumer.
Pauline, sans raison dans la douleur plongée,
Craint et croit déjà voir ma mort qu’elle a songée ;
Elle oppose ses pleurs au dessein que je fais,
Et tâche à m’empêcher de sortir du palais.
Je méprise sa crainte, et je cède à ses larmes ;
Elle me fait pitié sans me donner d’alarmes ;
Et mon cœur, attendri sans être intimidé,
N’ose déplaire aux yeux dont il est possédé.
L’occasion, Néarque, est-elle si pressante
Qu’il faille être insensible aux soupirs d’une amante ?
Par un peu de remise épargnons son ennui,
Pour faire en plein repos ce qu’il trouble aujourd’hui.