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ACTE IV, SCENE V IH

Que tu tombes au point de me porter envie! Et toi bientôt souiller par quelque lâcheté Cette gloire si chère à ta brutalité !

HORACE.

ciel! qui vit jamais une pareille rage? 1295

Crois-tu donc que je sois insensible à l'outrage,

Que je soutfre en mon sang ce mortel déshonneur ?

Aime, aime cette mort qui fait notre bonheur,

Et préfère du moins au souvenir d'un homme

Ce que doit ta naissance aux intérêts de Rome. 1300

CAMILLE.

Rome, l'unique objet de mon ressentiment!

Rome, à qui vient ton bras d'immoler mon amant!

Rome qui t'a vu naître, et que ton cœur adore!

Rome enfin que je hais, parce qu'elle t'honore!

Puissent tous ses voisins, ensemble conjurés, 130S

Saper ses fondements encor mal assurés!

Et, si ce n'est assez de toute l'Italie,

Que l'Orient contre elle à l'Occident s'allie!

Que cent peuples unis des bouts de l'univers

toi bientôt souiller, pour : et toi puisses-tu bientôt souiller ; il y a deux sujets d» personnes différentes et un seul verbe.

1295. Ce mouvement, dit M. Géruzez, a été imité par Racine, dans ion Iphigénie {IV, 6) :

O ciel, le pais-je croire Qu'on ose des fareurs avouer la plus noire !

tJ98. Aime cette mort, sois heureuse de cette mort :

Je n'aime mon bonliear qne pour la mériter. (Polyettcte, I9S.)

1301. Racine a dit avec moins d'énergie :

Et Rome, nnitjue objet d'un désespoir si beau.

Du fils (le MilnridaLe est le digne "tombeau. (Mithridate, m, 1.)

« Ces imprécations de Camille ont toujours été un beau morceau de décla» mation et ont fait valoir toutes les actrices qui ont joué ce rôle. Il y a une observation à faire, c'est que jamais les douleurs de Camille ni sa mort n'ont fait répandre une larme. Camille n'est que furieuse ; elle ne doit pas être en colère contre Rome, elle doit s'être attendue que Rome ou Albe triompherait. Elle n'a raison d'être en colère que contre Horace, qui, au lieu d'être auprès du roi .après sa victoire, vient se vanter assez mal à propos à sa sœur d'avoir tui •on amant. » (Voltaire.) « L'imprécation de Camille a toujours passé pour la plus belle qu'il y ait au théâtre, et le génie de Corneille s'y fait sentir dans toute sa vigueur. Camille doit s'emporter contre Rome parce que son frère n'oppose à ses douleurs que l'intérêt de Rome, et que c'est à ce grand intérêt qu'il se vante d'immoler Curiace : l'excès de la passion d'ailleurs ne raisonne pas, et si l'em- portement (le Camille avait moins de violence, la férocité d'Horace serait révol- tante. 11 fallait amener ce trait de barbarie consacré par l'histoire, et Corneille n'avait que ce moyen de le reinire supportable. » (Palissot.) Voir l'Introduction sur l'effet prodigieux que produisaient ces imprécations dans la bouche d«  Rachel. Dans son Etude sur Mairet, M. Bizos rapproche des imprécations de CtmiUe celles que Massinissa mourant lançait dans SophonUbe (antérieure d« 

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