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INTRODUCTION I i7

ait lu Platon et voulu suivre ses préceptes; il s'adresse à une partie tout autrement élevée de la nature humaine, à la pas- sion la plus noble, la plus voisine de la vertu, l'admiration, et de l'admiration poi-tée à son comble il tire les elfels les plus puissants.» Moins enthousiaste, M. Guizot n'est pas moins afflrmalif : « Jamais Corneille n'a puisé un intérêt si soutenu et si pathétique dans la peinture d'un grand caractère, sans le secours des situations '. »

Tout cela est vrai en soi, et aucune pièce à coup sûr n'est plus exclusivement cornélienne. Il faudrait prendre garde, toutefois, à force de vanter ainsi Corneille , de le réduire à la condition de philosophe, comme d'autres à la condition d'his- torien, et d'oublier qu'avant tout il est poète dramatique. Si l'admiration seule est soulevée par de telles œuvres, nous resterons désarmés en face des objections de Voltaire et de Lessing ^ : L'admiration est le point de repos de la passion; la compassion pour les héros se transformant en admiration, l'éniolion douloureuse s'apaise. Or celte émotion ne saurait s'affaiblir et disparaître sans que l'intérêt du drame s'affai- blisse et disparaisse avec elle; si ce repos de l'âme se pro- longe, c'en est fait de la tragédie.

Nicomède esl une tragédie pourtant, bien que l'admiration en soit le principal, sinon l'unique ressort. L'enthousiasme des spectateurs, qui ont besoin d'être émus pour admirer, ne s'y est pas trompé. Le sévère d'Aubignac, lui-même, lors- qu'il soutenait que la règle de l'unité de temps, loin de ircner le poète, lui permettait de mieux approfondir les passions et de faire naître des « surprises extraordinaires», d'Aubi- gnac citait Nicomède à côté d'Horace, de Cinna, de Poli/eucte.

C'est que l'admiration chez Corneille est toujours drama- tique, parce quelle n'est jamais un état égal de l'âme. C'est qu'elle s'exalte à mesure que grandit le héros qui l'inspire. C'est qu'avant d'èli'e héros il a été homme, et qu'il l'est en- core après avoir atteint l'héroïsme où il ne monte pas du premier coup, où il ne se maintient pas sans faiblesses. On ne comprend rien au pathétique de Corneille lorsqu'on se borne à paraphraser, sans le bien comprendre, le mot de La Bruyère: «Corneille peint les hommes tels qu'ils devraient être^. » L'idéal qu'il fait vivre n'est ni si abstrait ni si froid; l'admiration qu'il éveille en nous est, pour ainsi dire, active; le poète sans cesse la soutient, l'échauffé, et ne lui permet pas

1. Corneille et son temps.

2. Dramaturgie de Hambourg, tr. Crousié.

3. Pratique du théâtre, 11, 7,

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