Page:Corneille Théâtre Hémon tome4.djvu/192

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ISO NICOMÉDE

que dans le Menteur, mais elle y est, pour ainsi dire, mise au point de la Iragédie. Le caractère d'Arpan, par exemple, est et devait être plus chargé que celui de Prusias : le vieux roi est aussi ému peut-être, mais plus discrc-t dans l'émotion, moins bourgeoisement larmoyant. Cette ditlérence ne tient pas seulement à celle des genres et des conditions : Nicomède est yjrésent, qu'on ne l'oublie pas, et cette scène d'effusion conjugale ne saurait se prolonger devant lui sans inconvé- nient. Chez Molière, l'unique témoin de ce duo attendri n'est pas gênant: c'est M. de Bonnefoi, l'honnête notaire qui a son rôle dans cette comédie; et pourtant M. de Bonnefoi s'écrie : « Ces larmes sont hors de saison, et les choses n'en sont point encore là. » Ajoutez que Prusias n'est pas si sottement dupe qu'Argan ; on le voit bien quand Arsinoé l'a laissé seul avec Nicomède et qu'il peut parler librement :

N'icomède, en deux mots, ce désordre me fâche. Qîioi qu'on t'ose imputer, je ne te crois point lâche,' Mais donnons quelque cliosc à Rome, qui se plaint. Et tâchons d'assurer la Reine, qui te craint*.

Nous ne savons si c'est bien sincèrement qu'il veut être tout à la fois père, mari, roi... et Romain; nous savons fort bien, en revanche, qu'il ne peut réussir dans cette conciliation impossible ; mais enfin il ne parle pas là en mari si aveugle ni si obstinément crédule. 11 fallait la comparaison avec un Argan pour le relever. D'autre part, est-il besoin de l'aire remarquer combien l'ambition d'une Arsinoé est plus haute que celle d'une Béline? Il s'agit de conquérir le pouvoir et non de voler quelques écus. Béline est monstrueuse dans son égoïste rapa- cité ; Arsinoé ne s'oublie jamais, mais aussi n'oul)lie pas son fils Attale, dont les intérêts sont les siens. Faire régner Attale, gouverner son mari, servir les Romains : voilà sa triple am- bition. Combien elle est plus adroite que Béline, et dans une situation plus diftkile ! La femme hypocrite du bourgeois Argan se laisse assez facilement arracher son masque, et, confondue, impuissante à se justifier, sort pour jamais de la maison où elle régnait tout à l'heure; la reine de Bithynie, vaincue, mais non désespérée , sûre de trouver l'occasion d'une revanche prochaine, se résigne, le sourire aux lèvres, à sa défaite. Nicomède sera prudent de n'accorder qu'une mé- diocre confiance à ses assurances de dévouement : l'amitié

��1. Nicomède, IV, 3.

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