Page:Corneille Théâtre Hémon tome4.djvu/205

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AU LECTEUR

��Yoici une pièce d'une constitution assez extraordinaire : aussi est-ce la vingt et unième que j'ai fait voir sur le théâtre ; et après y avoir lait réciter quarante mille vers, il est bien malaisé de trouver quelque chose de nouveau, sans s'écarter un peu du grand chemin et se mettre au hasard de s'égarera La tendresse et les passions, qui doivent être l'càme des tra- gédies, n'ont aucune part en celle-ci 2; la grandeur de cou- rage y règne seule et regarde son malheur d'un œil si dédai- gneux qu'il n'en saurait arracher une plainte. Elle y est combattue par la politique, et n'oppose à ses artifices qu'une prudence généreuse, qui marche à visage découvert, qui pré- voit le péril sans s'émouvoir, et ne veut point d'autre appui que celui de sa vertu et de l'amour qu'elle imprime dans les cœurs de tous les peuples^. L'histoire qui m'a prêté de quoi la l'aire paraître en ce haut degré est tirée de Justin ; et voici comme il la raconte à la fin de son trente-quatrième livre* :

« En même temps Prusias, roi de Bithynie, prit dessein

1. La Bruyère admirait surtout chez Corneille l'extrême différence qui sépare l'une de l'autre rhacune de ses pièces et avouait qu'il y avait plus de ressem- blance entre celles de Racine. On voit que Corneille, qu'on se représente volon- tiers si naïvement, on dirait presque si instinctivement sublime, se rendait compte le premier du degré d'originalité de ses drames. On voit aussi qu'il serait injuste de juger Nicoméde comme on juge Cinna, en pièce purement classique, à la- quelle certaines libertés sont interdites. C'a été la grande erreur de Voltaire.

2. Aucune, c'est trop dire; mais il est certain que la passion y est au second plan et n'a rien de fort émouvant.

3. Voilà une admirable définition du caractère de Nicoméde.

4. Livre XXXIV, ch. iv. Voici le texte de Justin : o Eodem fere tempore Pru- sias, rex Bithyniae, consilium cepit interficiendi Nicbmedis filii, dum consulere studet minoribus filiis, quos ex noverca ejus susceperat et Rom;r habebat ; sed res adolescent! ab his qui facinus susfcperant proditur; hortatique sunt ut, crudelitate patris provocatus, occupct insidias et in auctorem retorqueat scchis. Nec difficilis persuasio fuit. Igitur, quum accitus in patris regnum veni^sot, statim rex appellatur. Prusias, regno spoliatus a filio, jirivatusque reJilitiis, eliam a servis deseritur. Quum in latebris ageret, non minori scelere quam fllium occidi jusserat, a filio interficitur. »

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