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SUR TITE ET BERENICE 533

core un intérêt secret à voir cette victoire représentée sur le théâtre : elle se ressouvenait des sentiments qu'elle avait eus longtemps pour Louis XIV et du goût vif de ce prince pour elle. Le danger de cette passion, la crainte de mettre le trouble dans la famille roj^ale, les noms de beau-frère et de belle-sœur, mirent un frein à leurs désirs; mais il resta toujours dans leurs cœurs une inclination secrète, toujours chère à l'un et à l'autre. Ce sont ces sentiments qu'elle voulut voir développés sur la scène, autant pour sa consolation que pour son amusement. Elle chargea le marquis de Dangeau, confident de ses amours avec le roi, d'engager secrètement Cor- neille et Racine à travailler l'un et l'autre sur ce sujet, qui parais- sait si peu fait pour la scène. Les deux pièces furent composées dans l'année 1670, sans qu'aucun des deux sût qu'il avait un rival * . »

Pourquoi ne pas l'avouer? cette histoire si joliment arrangée nous parait suspecte. Voltaire écrit à une distance de près d'un siècle des événements. Or, pendant ce long intervalle, pas un té- moin n'a déposé en ce sens, au moins avec cette précision. Ce qui n'est pas moins extraordinaire, c'est que pas une ligne d'un des deux poètes ne confirme l'intervention si directe de Madame. Corneille n'a pas placé d'Examen en tête de sa pièce; mais en tête de la Bérénice racinieune il y a une Préface développée, il y a une Épitre, et une Épitre dédiée à Colbert, dont le nom ne laisse pas d'étonner à cet endroit. Ni dans l'Épître ni dans la Préface il n'est question de Madame. Il est vrai qu'avant la représentation des deux pièces. Madame avait été enlevée par cette mort prématurée et mystérieuse dont l'oraison funèbre de Bossuet a fixé le terri- fiant souvenir. Mais si l'influence de Madame avait été décisive à ce point, comment expliquerait-on que Racine se fût interdit même l'allusion la plus lointaine à cette Bérénice plus touchante encore que la sienne?

Dans la dédicace d'Andvomaque, il avait reconnu tout ce qu'il lui devait ; il avait loué comme il convient cette « intelligence qu'aucune fausse lueur ne saurait tromper » ; il lui avait attribué, trop généreusement peut-être, une sorte de part de collaboration dans son œuvre : « On savait que Votre .\lte3se Royale avait dai- gné prendre soin de la conduite de ma tragédie... La cour vous regarde comme l'arbitre de tout ce qui se fait d'agréable. Et nous qui travaillons pour plaire au public, nous n'avons plus que faire

1. Préface du Commentaire sur Bérénice.

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