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Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 1.djvu/109

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quoique grosse alors, de s’en convaincre par elle-même, et voulut absolument coucher dans cet appartement. L’aventure était assez téméraire et délicate à tenter pour une femme jeune et aimable. Au milieu de la nuit, elle entendit ouvrir sa porte ; elle parla, mais le spectre ne lui répondit rien ; il marchait pesamment et s’avançait en poussant des gémissements. Une table qui était au pied du lit fut renversée et les rideaux s’entr’ouvrirent avec bruit ; un moment après, le guéridon qui était dans la ruelle fut culbuté, et le fantôme s’approcha de la dame. Elle, de son côté, peu troublée, allongeait les deux mains pour sentir s’il avait une forme palpable ; en tâtonnant ainsi, elle lui saisit les deux oreillees sans qu’il y fît grand obstacle. Ces oreilles était longues et velues, et lui donnaient beaucoup à penser. Elle n’osait retirer une de ses mains pour toucher le reste du corps, de peur qu’il ne lui échappât, et pour ne point perdre le fruit de ses travaux elle persista jusqu’à l’aurore dans cette pénible attitude. Enfin, au point du jour, elle reconnut l’auteur de tant d’alarmes pour un gros chien assez pacifique, qui, n’aimant point à coucher à l’air, avait coutume de venir chercher de l’abri dans ce lieu, dont la serrure ne fermait pas. Le lendemain, elle railla de leurs frayeurs ses hôtes étonnés de sa bravoure.

— Nous venons de recevoir de Hollande un ouvrage intitulé Direction pour la conscience et un Roi[1]. C’est le détail de toutes les fautes que peut faire un monarque dans le gouvernement de ses États et la conduite de son peuple. Cet ouvrage, qui est encore peu connu, ne peut manquer de faire beaucoup de bruit. On l’attribue à l’illustre auteur du Télémaque, et on prétend qu’il a été fait pour le duc de Bourgogne. La morale de l’ouvrage me ferait croire qu’il est de M. de Fénelon, le style m’en ferait douter ; ce sont ses principes, mais ce n’est pas son langage. Ce livre n’est pourtant pas mal écrit ; on y trouve de l’exactitude et du naturel, mais point de cette élégance qui caractérise cette plume célèbre. On a jeté à la fin de cette brochure un morceau de politique qui est de main de maître.

— Le roi, pour embellir sa maison de Choisy, a ordonné

  1. Destiné d’abord à l’édition de Télémaque, publiée en 1734 par le marquis de Fénelon, neveu de l’auteur, l’Examen de conscience pour un roi (c’est là le titre primitif) parut en 1747, in-l2, sous la rubrique de Londres.