Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 7.djvu/125

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en Europe, elle ne fût plus qu’un simple usage, sans aucune influence sur l’esprit public. Je vous défie de trouver une plus belle cérémonie que celle par laquelle le doge de Venise se déclare tous les ans l’époux de la mer Adriatique. Quelle élévation, quelle activité, quel orgueil utile cette cérémonie devait inspirer aux Vénitiens, lorsque ce peuple était effectivement le souverain des mers ! Aujourd’hui elle n’est plus qu’un jeu presque ridicule, et sans autre effet public que celui d’attirer une foule d’étrangers à la foire de l’Ascension.

Il serait aisé d’examiner, suivant ces principes d’une saine critique, les autres avantages de la Chine, et d’en tirer du moins des raisons de douter très-légitimes. La morale de Confucius n’est pas plus parfaite que celle de Zoroastre, celle de Socrate. Quel est le peuple policé qui n’ait eu ses sages et ses législateurs ? Si le peuple de la Chine est plein d’idées et de pratiques superstitieuses, quel avantage a-t-il sur le nôtre ? Il en résulte que le peuple est partout peuple. Cet empire a été subjugué ; mais le vainqueur a été obligé d’adopter ses lois et ses usages. Oui, comme les Romains adoptaient les dieux des provinces conquises : ils n’en étaient pas moins les maîtres absolus. Le petit nombre est bien obligé de se conformer aux usages du grand nombre ; mais que lui importe de respecter des usages indifférents, pourvu qu’on respecte sa domination ? Il n’y a jamais eu que les chrétiens d’assez absurdes pour aimer mieux dépeupler et dévaster un pays de fond en comble, et de régner sur des déserts, que de laisser aux peuples conquis leur religion et leurs usages. Je parlerai une autre fois de la population, et nous verrons si elle est une marque aussi infaillible de la bonté du gouvernement et de la prospérité publique, que la plupart de nos écrivains politiques voudraient nous le faire croire. Il suffit d’observer ici qu’en retranchant de la population chinoise les exagérations que tout homme sensé regardera comme suspectes, elle n’aura rien de merveilleux, si l’on veut avoir égard à la douceur d’un climat chaud et au peu de besoins des habitants d’un tel climat. Je croirai sans peine qu’il périt moins d’enfants à la Chine que dans nos contrées européennes, quoique la constitution de ceux qui ont résisté parmi nous à la rigueur du climat soit en général plus forte que celle des peuples qui vivent sous un ciel plus doux. Mais je me moquerai un peu de