Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 7.djvu/142

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tion est d’ailleurs si conforme au vœu de la nature, elle y invite par un attrait si puissant, si répété, si constant, qu’il est impossible que le grand nombre lui échappe. Il ne faut qu’un instant pour former un homme ; et tous les instants, depuis le commencement de l’année jusqu’à la fin, y étant également propres, si vous combinez ce retour perpétuel de l’occasion avec le penchant qui y entraîne, vous trouverez que, malgré toutes les résolutions et les systèmes contraires, il est impossible que les hommes trompent le vœu de la nature d’une manière capable d’influer sensiblement sur la population. S’il est donc vrai qu’un accroissement de population soit un effet certain d’un bon gouvernement, il ne paraît pas aussi constant qu’un mauvais gouvernement produise toujours la dépopulation.

Tous les écrivains politiques mettent le luxe à la tête des causes principales qui dépeuplent un État. Sans examiner ce que c’est que le luxe, et s’il est possible de l’empêcher, je conviens qu’il existe, parmi les nations où il s’est glissé, une classe de citoyens qui, jouissant d’une fortune bornée et n’ayant pas l’espérance de l’augmenter, craignent effectivement de faire des enfants et d’être chargés des soins d’une famille ; mais il faut considérer que cette classe se réduit à un très-petit nombre, qui n’est rien relativement à la totalité de la nation. Il faut considérer encore que le luxe entraîne surtout l’inégalité des fortunes, qu’il partage une nation en trois classes : la première, et la plus petite, jouit d’une richesse immense ; la seconde, peu considérable aussi, jouit d’une fortune médiocre et bornée ; la troisième, infiniment supérieure aux deux autres et la plus nombreuse, est dans la misère, et n’a pour s’en tirer que son travail et son industrie. Or, si cette misère devient extrême, s’il est impossible au plus grand nombre de s’en affranchir, la population, bien loin d’en souffrir, y gagnera. Il est d’expérience que ce ne sont pas les gueux ni les esclaves qui redoutent d’avoir des enfants ; au contraire, rien ne peuple comme eux : ils n’ont rien à perdre, ils ne sauraient rendre leur condition pire qu’elle n’est. Pourquoi se refuseraient-ils au seul plaisir qu’il leur est permis de goûter ? Il ne faut pas non plus croire qu’il périt un plus grand nombre d’enfants élevés dans la misère que de ceux qui sont élevés avec des soins et de la recherche ; l’expérience de ceux qui sont à portée d’examiner ces phéno-