Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 7.djvu/155

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

amis ont prétendu qu’elle était du moins un chef-d’œuvre d’éloquence, et que la péroraison en était surtout d’un grand pathétique ; mais ils oublient que la véritable éloquence consiste principalement à donner à chaque sujet le ton qui lui convient. Si vous traitez des pauvretés et des balivernes avec une emphase que les événements les plus tragiques comporteraient à peine, vous pouvez paraître éloquent si l’on veut, mais vous passerez pour fou bien plus sûrement encore. Don Quichotte, qui prend les moulins à vent pour des géants, et qui se bat contre eux à toute outrance, est certainement plein de courage, d’héroïsme et de la plus noble valeur ; mais aussi il est bien plus ridicule qu’il n’est vaillant. Pour moi, les beaux coups d’épée qu’on porte aux moulins à vent m’affectent si peu, que je préfère la lettre de M. Horace Walpole à M. Hume, qu’on lit dans ce recueil, à toutes les autres pièces du procès, parce que cette lettre a du caractère et que je fais grand cas du caractère.

Au reste, je pense que personne ne peut lire cet étrange procès sans se sentir une pitié profonde pour ce malheureux Jean-Jacques : car, s’il lui arrive d’offenser ses amis, il faut convenir qu’il s’en punit bien cruellement ; et quelle déplorable vie que celle qui se consume dans d’aussi folles et d’aussi pénibles agitations ! je défierais son ennemi le plus acharné de lui suggérer, dans la position où il est, un plus mauvais conseil que celui qu’il a pris lui-même de se brouiller avec M. Hume sans l’ombre de sujet. J’avais toujours été persuadé qu’il prenait un fort mauvais parti en préférant l’Angleterre à d’autres asiles ; mais je ne m’attendais pas à une révolution aussi bizarre et aussi prompte. Il est aisé de prévoir qu’il ne pourra pas longtemps séjourner dans ce délicieux séjour de Wootton, et que la première réforme tombera sur l’ami Davenport, la seconde sur la nation anglaise ; mais il n’est pas aussi aisé de prédire en quel coin de la terre l’ami Jean-Jacques pourra finir ses jours tranquillement. Il paraît démontré qu’il mène avec lui un compagnon qui ne le peut souffrir en repos nulle part. Il aura du moins pendant quelques mois la douce satisfaction de préparer une réponse non succincte à l’Exposé succinct de M. Hume. Cela soutient d’autant. Si mes conjectures se vérifient, celui de tous ses amis et ennemis qui n’attrape pas une bonne taloche dans cette réponse pourra se vanter de l’avoir échappé belle.