Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 7.djvu/218

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tion entière est arrivée à Paris ; mais M. d’Argental et M. Le Kain, chargés du département dramatique de notre septuagénaire, en ont arrêté impitoyablement la publication. Ils délibèrent si cette œuvre ne doit pas être jouée avant d’être livrée au public par l’impression. M. de Voltaire, plus modeste et moins ambitieux que ses amis, s’est contenté d’offrir sa tragédie à la lecture sans la présenter aux Comédiens. Il fait bien, mais ses amis font mieux : car si cette pièce peut être mise sur le théâtre, pourquoi ne la point montrer au public de sa véritable place ? La difficulté sera de trouver les acteurs nécessaires aux différents rôles. Il y a deux vieillards, et nous n’avons que Brizard tout seul ; et Mlle Clairon est si peu remplacée par nos débutantes que je serais fort embarrassé de dire à laquelle d’entre elles il faut donner le rôle de la princesse.

Au reste, si je souffre pour ma part de la rigidité avec laquelle M. d’Argental et son bras droit, M. Le Kain, dérobent cette pièce à la connaissance du public, je ne la blâme pas pour cela. Je désire seulement qu’il n’arrive point d’infidélité ou d’indiscrétion qui nous mette en possession de la pièce avant que le conseil souverain ait décidé définitivement de son sort. En attendant, pour satisfaire à mon devoir, je profiterai d’un hasard heureux. M. Le Kain a confié la tragédie des Scythes à M. le comte de Schomberg, maréchal des camps et armées du roi, avec qui j’ai l’honneur d’être lié d’amitié depuis ma première enfance, et qui a bien voulu employer le peu d’heures qu’il a été en possession de la pièce à faire pour moi, à mon insu, l’extrait que vous allez lire. La parole qu’il avait donnée de ne point laisser cette pièce sortir de ses mains ne lui a pas permis de me mettre à portée de faire cet extrait moi-même[1].

On pourrait craindre que cette tragédie ne languît un peu en quelques endroits. Quoiqu’on y reconnaisse toujours le coloris de l’auteur de la Henriade, le style paraît un peu faible. Quant à la machine, elle est bien compliquée, et le moindre inconvénient, comme le plus ordinaire, de ces sortes de machines est que le discours des personnages est employé à faire savoir au spectateur toutes les choses dont le poëte a

  1. Nous supprimons l’analyse de cette tragédie, qu’on trouvera tome VI des Œuvres complètes de Voltaire, édition Garnier frères.