Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 7.djvu/273

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à peu près des nations entières ce qu’on a dit si souvent des hommes qui composent une même société. Tout s’est confondu, tout se ressemble ; les mœurs, la politique, la philosophie, ont fait à peu près les mêmes progrès dans tous les États de l’Europe. Il y a un système commun à tous. L’esprit dominant des grandes capitales, le goût des voyages, celui des lettres, et surtout le commerce, ont formé pour ainsi dire de tous les peuples de l’Europe un seul peuple. Hérodote trouverait aujourd’hui, dans toute cette partie du monde, moins de caractères, moins de variétés, que dans l’étendue bornée des pays qu’embrasse son Histoire.

Rien de plus vrai en général ; cependant l’on se tromperait beaucoup de croire que toutes les circonstances qui ont pu rapprocher tant de nations aient absolument effacé leur caractère original : elles en ont seulement altéré quelques traits, et si, sous l’apparence qui le cache, il est plus difficile à saisir, il n’en existe pas moins. Plus la société s’étend, plus l’homme, sans doute, se dénature, mais il ne saurait changer entièrement son être. Semblable à Protée, il devient susceptible de mille formes différentes. C’est au coup d’œil du génie à le fixer sous celle qui lui est propre. L’Italie même, malgré toutes les révolutions qu’elle éprouva sous l’empire des barbares, sous le joug humiliant du despotisme religieux, et durant les longues guerres de la France et de l’Empire, n’a-t-elle pas conservé longtemps cet esprit d’indépendance et d’ambition qui fit sa gloire dans les jours heureux de la république ?

Le défaut de nos vues en morale, en politique, en philosophie, est d’être toujours ou trop générales, ou trop minutieuses ; mais s’il m’est permis de dire ce que je pense sur un sujet sans doute fort au-dessus de ma portée, je crois remarquer une différence sensible entre la manière dont on pouvait étudier les nations anciennes, et celle dont il faut étudier les nations modernes. Pour connaître les Grecs, les Romains et les anciens habitants des Gaules et de la Germanie, c’était beaucoup d’avoir acquis la connaissance de leurs lois, de leurs coutumes et de leur religion. On nous connaîtrait fort mal aujourd’hui si l’on ne nous connaissait que par ces relations-là. Nos lois, nos coutumes, notre religion, nous sont devenues presque absolument étrangères. Nos mœurs et notre philosophie ont du moins affaibli