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CORRESPONDANCE LITTÉRAIRE.

elles une source féconde de vertus, et serait-il vrai qu’elles transforment le métier le plus horrible en apparence en une école de justice, de compassion et d’héroisme ? L’âme ne vaut qu’autant qu’elle est exercée, et quel peut être son exercice dans un cloître ? Le moine parle du mépris de la vie : quelle impertinence ! Comment méprise-t-on la vie dans un convent ? La paix, l’inaction de l’âme détruit jusqu’au germe des vertus, et c’est dans la profession qui à pour but la destruction de ses semblables qu’on apprend le prix qu’il faut faire de la vie, et avec ce prix celui des vertus les plus utiles à l’humanité. Nous sentons si fort le besoin des secours mutuels, de l’intérêt réciproque, de la compassion et de la générosité, que l’être le plus haïssable n’est pas celui qui fait le plus de mal, mais cet être apathique qui, sans faire aucun mal aux autres, n’est occupé que de ses aises, de ses convenances, de ses intérêts ; une conspiration générale, quoique non concertée, fait détester les hommes de cette espèce par-dessus tous les autres. Or il ne s’agit plus que de savoir si la paix perpétuelle, bien établie par les soins de M. de La Harpe ou de M. Gaillard, ne tend pas à transformer les hommes en êtres aussi aimables ?

Il serait aisé de pousser plus loin ces réflexions, et de les développer davantage ; mais je m’arrête ici. Peut-être, en approfondissant mieux cette matière, le bon israélite trouvera-t-il que le plus sur effet de sa paix perpétuelle serait de relâcher les liens des sociétés, et d’anéantir toutes les vertus héroiques et patriotiques, sans lesquelles il est assez indifférent que la terre soit couverte de troupeaux d’hommes végétant paisiblement. Je ne me suis jamais soucié de savoir si les monarchies ou les républiques des fourmis étaient bien florissantes. Si le bon Israélite veut entrer dans mes vues, après avoir dépensé son argent pour apprendre de M. de La Harpe les avantages de la paix et les malheurs de la guerre que personne n’ignore, il en dépensera autant l’année prochaine pour couronner un orateur qui lui apprendra les inconvénients de la paix, et les avantages de la guerre, qu’il paraît ne pas si bien savoir. Le moindre profit qu’il tirera de son argent sera d’apprendre à supporter les malheurs de la guerre comme les autres inconvénients de la vie, dont il y a un grand nombre qui ne sont ni moins cruels ni moins inévitables.