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JUIN 1767.

JUIN.

1er juin 1767.

Lorsqu’on joua au mois de mars dernier la tragédie des Scythes, il se répandit un bruit que les Comédiens avaient une autre pièce toute prête, dont la fable était presque entièrement conforme à celle de M. de Voltaire. Cette tragédie était intitulée Hirza, ou les Illinois. M. de Sauvigny, auteur de plusieurs productions fort médiocres, et entre autres d’une Mort de Socrate, faiblement accueillie il y a quelques années sur le théâtre de la Comédie-Française, avait présenté cette nouvelle tragédie au tribunal souverain de ce théâtre, il y avait plus de quinze mois, par conséquent longtemps avant l’apparition des Scythes. Le souffleur de la Comédie étant mort dans l’intervalle, on ne trouva plus parmi ses effets le manuscrit de M. de Sauvigny, dont sa place l’avait constitué gardien. L’auteur des Illinois, croyant apercevoir quelque ressemblance entre la tragédie des Scythes et la sienne, se plaignit assez hautement ; il accusa aussi indiscrètement que maladroitement les Comédiens d’une infidélité, et M. de Voltaire d’en avoir profits. Il prétendait que sa tragédie ayant été communiquée à ce poëte illustre en secret, il n’avait pas balancé d’en prendre le canevas pour la composition de sa pièce des Scythes. Il en coûte peu, comme vous voyez, au peuple du Parnasse de se supposer réciproquement les plus mauvais procédés, et il n’y a point de propriété sur la terre dont on soit plus jaloux et dont on jouisse avec plus d’inquiétude que celle des ouvrages d’esprit. Si M. de Voltaire avait à piller les autres, il saurait du moins mieux s’adresser, et ce n’est pas dans la cabane du pauvre qu’il chercherait sa subsistance. Les Comédiens ont cru devoir prendre le public pour juge entre M. de Sauvigny et eux ; ils ont donné, le 27 du mois dernier, la première représentation de la tragédie d’Hirza, ou les Illinois, et personne n’a été frappé de cette prétendue ressemblance avec la tragédie des Scythes. On voit dans les Scythes quelques lueurs, quelques faibles restes de génie d’un grand homme ; on n’aperçoit, dans les Illinois, que les efforts