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JUILLET 1767.

sant et très-rarement ; mais on n’en verrait pas trois de suite sans en être fatigué, excédé. Vous remarquerez que si M. Sedaine avait eu à traiter ce sujet, il aurait fait à coup sûr de Sophie et du chevalier un couple honnête et intéressant qui aurait naturellement contrasté avec les mœurs des autres personnages de la pièce, et, si l’on peut dire ainsi, vous en aurait reposé. M. Collé a voulu faire de Sophie une jeune personne au-dessus des préjuges de son sexe ; mais, dans le fait, c’est une créature qui se livre à un jeune homme sans réserve et sans pudeur. Il n’y a point de situation qu’on ne puisse traiter, mais la manière de la traiter décide de tout, et donne la mesure exacte du génie et du talent du poëte. M. Collé n’a point de nez pour les choses honnêtes. Il ne sait faire parler que des femmes perdues ; quand il veut faire parler une femme honnête, il n’y est plus, il devient ennuyeux et plat. Quant au style, qu’il ne faut jamais perdre de vue dans ces productions, sa pureté répond quelquefois à la pureté des mœurs de la pièce. Le ton même n’en est pas toujours bon. Le chevalier dit à Sophie par exemple : J’espère que M. le comte aura fait de bonne besogne. Cela est lourd et bas, et si c’est une équivoque, c’est encore de mauvais goût : un homme du monde s’exprime avec plus de finesse et de légèreté. Il y a encore cette différence entre M. Collé et M. Sedaine que celui-ci jette ses choses fines et ses adresses fort légèrement ; il prend son spectateur pour un homme d’esprit qui entend à demi-mot. M. Collé, au contraire, nous prend pour des bêtes. Quand il a quelque finesse a placer, il meurt de peur qu’elle ne nous échappe, et nous cogne le nez dessus. Mais je n’aime pas ces façons-là : elles font monter la moutarde au nez. Le Galant Escroc est précédé d’un prologue en vers où M. Collé prend congé de la Parade ; mais en lisant ses comédies, on s’aperçoit qu’il s’en est séparé trop tard.

M. Baculard d’Arnaud vient de nous gratifier de deux petits romans, l’un français, l’autre anglais, chacun orné d’une estampe et de quelques vignettes de M. Eisen. La fureur des images devient ainsi tous les jours plus générale, et s’il ne s’élève pas bientôt une secte d’iconoclastes dans la librairie, nous sommes ruinés. Le roman français de M. d’Arnaud est intitulé Lucie et Mélanie, ou les Deux Sœurs généreuses, et le roman anglais, Clary, ou le Retour à la vertu récompensé. Dans le pre-