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SEPTEMBRE 1767.

Beaumarchais a une réputation de fatuité généralement établie, on a trouvé dans son discours un ton suffisant et avantageux qui n’y est point. Moi, qui n’ai jamais vu M. de Beaumarchais et qui crois devoir étendre l’indulgence ou du moins l’indifférence jusque sur les airs d’un fat à qui je ne dois rien et qui par conséquent ne peut m’être à charge, j’ai trouvé au contraire le ton de M. de Beaumarchais, dans son Essai sur le drame sérieux, très-simple, très-naturel et très-éloigne de toute fatuité. Je voudrais que son talent répondlt à la modestie et à la simplicité de son ton, et je serais content. On lui a reproché comme une fatuité sans exemple d’avoir mis sur le titre une épigraphe tirée de sa propre pièce ; cet homme, a-t-on dit, n’a trouvé d’auteur digne d’être cité par lui que lui-même. Mais enfin son épigraphe est mieux placée dans sa bouche que dans celle d’Eugénie : une seule démarche hasardée m’a mis à la merci de tout le monde. La sévérité de ses censeurs prouve la bonté du choix de son épigraphe ; et puisque l’auteur s’est mis aussi à ma merci, je dirai un mot en passant sur deux articles, de son discours préliminaire.

Je lui observe d’abord qu’il était inutile de s’étendre sur la bonté du genre sérieux ; que nous sommes trop avancés aujourd’hui pour qu’il soit nécessaire de relever et de réfuter toutes les pauvretés qui se disent dans la discussion d’une matière, et qu’il ne s’agit désormais que de combattre les erreurs de ceux qui ont d’ailleurs des lumières, de l’esprit et du goût, et dont l’autorité aurait par conséquent une influence fâcheuse sur le jugement de ceux qui n’ont rien de tout cela. Cette réflexion aurait réduit le discours de M. de Beaumarchais à la moitié s’il avait voulu faire attention, et nous aurions été préservés d’un bon nombre de remarques triviales. Le genre sérieux n’est autre chose que la comédie que Ménandre et Terence ont créée en Grèce et à Rome, et qui, traitée par des hommes de leur talent, réussira toujours chez toutes les nations cultivées. Mais pour prouver le genre sérieux, il ne faut pas décrier la comédie gaie, encore moins la tragédie des Grecs, dont le but et l’effet étaient également sublimes.

M. de Beaumarchais prétend que les coups inévitables du destin n’offrent aucun sens moral à l’esprit, que la moralité qu’on pourrait tirer d’un genre de spectacle fondé sur de tels prin-