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CORRESPONDANCE LITTÉRAIRE.

Cette légèreté a aussi toujours donné un air d’enfantillage aux occupations les plus sérieuses et les plus graves. Elle n’a point préservé ses enfants de jouer des couteaux, d’ensanglanter leur théâtre aussi souvent que d’autres peuples d’un caractère plus sévère, elle ne leur a point épargné les horreurs du fanatisme ; mais il est singulier que dans les moments les plus horribles, le rire et la plaisanterie aient été voisins des plus grandes atrocités, que les fureurs de la Ligue et les commotions de la Fronde aient pu produire tant de chansons et de satires gaies.

Aujourd’hui que des mœurs plus douces et des temps plus tranquilles ont succédé à cette fièvre violente et longue que toute nation est peut-être condamnée à éprouver une fois dans le cours de son existence, nous portons cet enfantillage dans nos occupations, dans nos affaires, dans nos goûts, dans nos amusements. Tout est affaire de parti et de passion dans une nation dont l’esprit est doué de tant d’activité, et dont l’élite est cependant retenue dans l’oisiveté par la forme de son gouvernement. Mais, malgré cet air de frivolité, qui sera sans doute aussi durable en France que l’empire des grâces et des agréments, on ne peut se cacher que l’esprit public de cette nation a éprouvé depuis environ dix-huit ans une révolution très-avantageuse, et qu’au milieu du sommeil dans lequel on cherche à le retenir, il s’achemine vers un caractère de solidité dont la génération suivante se ressentira. Le goût de l’instruction et de la philosophie s’est répandu, et si nous conservons notre frivolité naturelle, nous l’avons du moins portée sur des sujets sérieux et utiles, et le goût des choses insipides et frivoles a passé. L’économie politique et rurale, le commerce, l’agriculture, les principes du gouvernement, le droit public des nations, voilà dans le moment les objets de la passion dominante.

J’avoue que ce serait se faire illusion que de se flatter que les nombreux ouvrages que cette passion enfante puissent avoir la moindre influence réelle sur la prospérité publique. Le gouvernement seul est l’instrument efficace de la félicité commune ou du malheur public ; ses opérations peuvent seules hâter ou retarder les effets d’une administration heureuse. Je donne mille ans à toutes ces sociétés royales d’agriculture, établies depuis quelques années par lettres patentes dans tous les coins du royaume, pour faire le moindre bien, pour opérer la moindre