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OCTOBRE 1767.

ses bras, courant et se dérobant à une meute de chiens que vous auriez lachés après elle, déchirée enfin par vos dogues, elle et son enfant, après mille efforts inutiles pour échapper au danger, pourquoi ce spectacle ne vous paraîtrait-il pas aussi intéressant que les angoisses d’un animal doux, noble, fier, pacifique, qui ne vous a jamais offensé, qui ne vous a jamais fait aucun tort, et dont vous vous plaisez à prolonger le supplice par les raffinements les plus barbares ? Quand M. l’abbé Baudeau aura trouvé la solution de ces questions, je l’écouterai sur la loi naturelle. Alors il retranchera aussi de son Exposition sa triste incartade contre la traite des nègres. Le président de Montesquieu a tout dit sur ce sujet dans son charmant et délicieux chapitre de l’Esprit des lois. Si vous voulez le comparer au paragraphe de l’abbé Baudeau, vous verrez précisément la distance d’un homme de génie à un polisson emphatique.

Le droit des gens n’est pas plus heureusement traité dans cette Exposition que la loi naturelle. L’auteur, qui en sa qualité d’économiste va à l’économie, ne lui donne pas un autre fondement que sa règle primitive établie pour base au droit naturel. Les peuples, dit-il, ne sont pas autre chose que des hommes, donc leurs droits et leurs devoirs doivent être jugés suivant la jurisprudence ordinaire.

Le prémontré ne sait ce qu’il dit. Le rapport des nations entre elles ne peut et ne doit être jugé suivant les lois de particulier à particulier. L’état des nations est un état de forces qui se contrebalancent : c’est le rapport d’un homme à un autre homme si vous voulez ; mais dans l’état dénaturé, la société a donné naissance à mille vertus touchantes qui en font le charme, et qui ne peuvent avoir lieu entre nations. Le chapitre des sacrifices seul est immense. Une des plus grandes douceurs de la société, c’est de faire un sacrifice à son ami ; nous passons notre vie dans ces sacrifices mutuels, même à l’égard des indifférents. À tout moment nous nous départons de notre intérêt, et nous nous en trouvons fort bien. Rien de tout cela ne peut exister entre nations. Un roi qui se sacrifierait réellement pour l’intérêt d’une puissance voisine ne serait pas un prince généreux et magnanime, mais un sot et même un homme injuste. C’est qu’il n’est pas juste de prodiguer le sang et les trésors d’une nation autrement que pour son propre intérêt. La probité même entre