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OCTOBRE 1767.

et de rogatons. Ce qu’il y a de nouveau dans ce spectacle se réduit à un acte de Théonis, par M. Poinsinet, et un acté d’Amphion, dont les paroles sont de M. Thomas.

Le terrible Poinsinet, qui ne se montre jamais sur nos théâtres que sous le masque du dieu de l’Ennui, fait, par l’acte de Théonis, son entrée dans la salle de l’Opéra. Puisse-t-il s’y tenir toute sa vie, être secondé dans ses productions lyriques par des musiciens de sa force et de son mérite, et ne plus jamais travailler pour les autres théâtres ! L’ennui a été de tout temps de l’essence de l’Opéra français. L’acte de Théonis, psalmodié par feu M. Mouret, ou feu M. Boismortier, aurait fait la plus belle chute du monde ; mais, rapiécé en musique par MM. Trial et Berton, il a eu un peu de succès. Il y a surtout à la fin un tambourin qui a enlevé la paille[1], et qui est charmant. Ce tambourin fera la fortune de M. Poinsinet. Son berger Dorilas, s’adressant suivant l’usage de l’Opéra, aux oiseaux, commence l’acte ainsi :

Chers habitants de ces riants bocages,
CesHeureux oiseaux, chantez plus bas ;
N’agitez plus les airs de vos ramages :
CesThéonis ne vous entend pas.

On croirait qu’à cause de cela, il faudrait les prier de chanter plus haut, puisqu’ils ont affaire à une sourde. Tout l’acte est écrit ridiculement, platement et durement.

Quant à l’acte d’Amphion, c’est autre chose. Il est de M. Thomas, qui écrit un peu autrement que M. Poinsinet. Vous lirez la déclaration d’amour du sauvage avec plaisir : c’est un beau morceau de poésie erse. Il est vrai qu’il n’y a d’ailleurs ni imagination, ni invention dans cet acte, et que ce sauvage cède à la fin bien ridiculement sa maîtresse à Amphion, mais cela vient de ce que M. Thomas a eu trop de confiance en son musicien, et qu’il a espéré qu’il rendrait ce miracle vraisemblable par la force et la magie de son harmonie. Ce musicien est M. de La Borde, premier valet de chambre du roi. Son Amphion n’adoucit et ne dompte personne. C’est une musique d’amateur,

  1. Se dit d’une chose excellente, singulière, décisive, par allusion à l’ambre qui a la vertu d’attirer la paille. (Littré.)