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NOVEMBRE 1767.

moyens imaginables ; pourvoyez à la sureté publique et dans vos villes et sur vos grands chemins ; que le citoyen puisse voyager sans craindre les brigands, et vous verrez que le commerce s’établira parmi vos sujets, sans que vous ayez besoin de leur apprendre ce qu’il faut qu’ils fassent pour le faire prospérer et fleurir. L’homme le plus borné sait toujours mieux ce qu’il faut faire pour son intérêt que le conseiller le plus avisé ; et je suis persuadé que si l’on voulait voir un recueil complet et parfaitement assorti de sottises de toute espèce, on n’aurait qu’à publier le code de tous les règlements qui existent en France, relatifs au commerce, aux arts et aux métiers.

Au reste, lorsqu’après de longs siècles de barbarie et au milieu du désordre féodal, une police plus sensée a cherché à s’établir en Europe, lorsque les villes et les communautés se sont formées, a-t-on eu tort d’ériger les différents métiers en maîtrises, et de les munir de statuts particuliers ? Je ne le crois pas. A-t-on raison aujourd’hui de casser tous ces statuts et de laisser gagner à chaque citoyen son pain comme il le jugera à propos, sans s’inquiéter s’il est agrégé à quelque communauté, sans s’informer s’il a bien appris le métier qu’il compte exercer, etc. ? Peut-être. Ce que je sais, c’est qu’autre chose est de civiliser, de former un peuple ; autre chose de gouverner un peuple tout formé, tout civilisé ; et pour me servir d’une expression de M. l’abbé de Galiani, quand vous voulez mettre un peuple en culottes, il peut être expédient, indispensable même, de commencer par lui lier bras et jambes pour assujettir tous ses mouvements ; c’est le moment de n’en regarder aucun comme indifférent. C’est le moment des règlements, des lois, des cérémonies, des formalités d’autant plus inviolables qu’elles sont au fond très-indifférentes ; mais lorsqu’un peuple porte culottes depuis cinq ou six cents ans, lorsqu’il y est si bien habitué qu’il les regarde comme essentielles à son bien-être, et qu’il s’est identifié avec elles, il est bien absurde de ne pas lui délier les bras, de ne pas lui rendre la liberté de ses mouvements, qu’il ne peut plus employer désormais qu’à la conservation et à l’embellissement de ses culottes, puisqu’il ne lui reste aucune trace, aucun souvenir de ses ancêtres sans culottes, aucune envie de leur ressembler.

Quand on veut élever un édifice, il faut commencer par