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NOVEMBRE 1767.

M. Dorat vient de publier la Danse chant quatrième du poëme de la Déclamation, précédé de notions historiques sur la danse, et suivie d’une réponse à une lettre écrite de province. Ce chant nouveau, qui doit terminer le poëme de la Déclamation, est orné d’une estampe et de vignettes dans le format ordinaire et suivant l’usage de l’élégant M. Dorat. Les trois premiers chants de ce poëme ont paru il y a un an. Le chant nouveau, qui ne fait que sortir de dessous la presse, est sans contredit le plus mauvais des quatre, et une des plus mauvaises productions de cet auteur. Il n’y a pas une seule idée ni dans la préface, qui est d’une grande étendue, ni dans le chant dont elle est suivie, ni dans la lettre à un ami de province, qu’on lit après ce chant. Il faut avoir le diable au corps pour rimer et écrire, et faire aller les presses d’imprimerie, quand on n’a rien du tout dans la tête. Mais tout ce que je pourrais remarquer sur les productions de M. Dorat est bien plus heureusement exprimé dans l’épigramme suivante, qui vient d’arriver de Ferney à son honneur et gloire[1].

Bon Dieu, que cet auteur est triste en sa gaieté !
Bon Dieu, qu’il est pesant dans sa légèreté !
Que ses petits écrits ont de longues préfaces !
Ses fleurs sont des pavots, ses ris sont des grimaces.
Que l’encens qu’il prodigue est plat et sans odeur !
Il est, si je l’en crois, un heureux petit-maître ;
Mais si j’en crois ses vers, ah ! qu’il est triste d’être
Mais siOu sa maîtresse ou son lecteur !

Ce boulet rouge, tiré directement du château de Ferney sur le petit parterre fleuri de ce pauvre M. Dorat, doit nous apprendre que la vengeance des dieux est quelquefois tardive, mais qu’elle est inévitable. Il y a tout juste un an que M. Dorat s’avisa d’adresser à M. de Voltaire une épître en vers ornée de vignettes, etc., dont le but était de rire de ce grand homme, pour aller ensuite pleurer à Mérope. Il lui reprochait particulièrement la manie qu’il avait de répondre à tous les polissons de la littérature. Dans le même temps, il dit, en assez mauvais

  1. Cette épigramme célèbre est de La Harpe qui l’avait rimée à Ferney. Grimm reconnaît implicitement sa méprise en parlant de la querelle de La Harpe et de Dorat dans sa lettre du 15 avril 1768.