Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 7.djvu/61

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sant à ne point admettre des idées incompréhensibles et vides de sens. L’auteur a partagé sa profession de foi en cinquante‑neuf doutes qui composent tout son ouvrage. En partant de la question : Qui es-tu ? il passe en revue toutes les réponses que les philosophes anciens et modernes y ont faites ; il parcourt tous les systèmes. Il explique en peu de mots la philosophie de Zoroastre, de Confucius, celle des philosophes grecs ; il s’arrête davantage à celle de Spinosa, de Hobbes, de Leibnitz, de Locke : il partage toutes ces différentes doctrines en choses qu’il comprend et choses qu’il ne comprend point. Il finit sa revue par un chapitre contre les persécuteurs, à propos des paroles de M. le Dauphin rapportées dans l’éloge de M. Thomas : « Ne persécutons point ; » paroles que je trouverais bien plus belles si les princes croyaient persécuter en immolant le sage à la calomnie du fourbe. Enfin un supplément ajouté au Philosophe ignorant contient un dialogue entre feu le soi-disant musicien Destouches et un Siamois. Dans ce dialogue, le Siamois, en rendant compte au musicien des mœurs et usages de son pays, fait un tableau fidèle de nos malheurs, de nos contradictions et de nos sottises. Cette tournure n’est point neuve, et M. de Voltaire lui-même s’en est servi plus d’une fois.

Le plan du Philosophe ignorant était excellent ; mais l’exécution n’y répond que faiblement. Un précis de la philosophie ancienne et moderne, partagé en idées claires et incontestables et en rêves obscurs et incompréhensibles, serait le livre élémentaire le plus utile et le plus nécessaire à mettre entre les mains de la jeunesse ; mais ce précis demanderait une tête profonde, et à peine le Philosophe ignorant a-t-il faiblement effleuré la superficie des choses ; sans compter qu’il tombe dans le même défaut qu’il reproche avec raison à Descartes. Celui-ci, en partant de son doute, si opposé en apparence au ton affirmatif, devint le philosophe le plus positif, le plus engoué de chimères et de systèmes imaginaires ; le Philosophe ignorant tombe par timidité dans le même piège où la hardiesse et l’imagination ont conduit Descartes. Il dit à tout moment, par faiblesse : Je comprends, lorsque sa conscience lui dit certainement et nettement : Je ne comprends pas.

Ainsi, après avoir expliqué superficiellement le système de Spinosa, il entreprend de le combattre avec des armes bien