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CORRESPONDANCE LITTÉRAIRE.

coûté 18,000 livres. C’est mettre bien de l’argent à une fantaisie peu recommandable. Il n’en aurait pas fallu davantage pour établir dix-huit familles honnêtes ; mais c’est que l’esprit a ses débauches aussi. Le libraire a taxé ce manuscrit à deux cents louis ; c’est-à-dire que celui qui donnera le plus au delà de ce prix aura le livre ; mais ce marché ne pourra se faire qu’en secret. On a dit dans le public que la plupart des miniatures étaient effacées, mais cela est faux ; elles m’ont paru très-bien conservées[1].

M. de Saint-Foix vient de publier une Lettre au sujet de l’Homme au masque de fer ; c’est un écrit d’environ quarante pages in-12. M. de Voltaire a parlé de ce prisonnier d’État d’une manière aussi intéressante que sage. Le récit qu’il en fait dans le Siècle de Louis XIV est un chef-d’œuvre de narration ; mais il ajoute qu’il n’a pu savoir qui était ce prisonnier, et il s’interdit toute conjecture à cet égard. La Grange-Chancel, qui a été longtemps enfermé au château de l’île Sainte-Marguerite pour ses Philippiques contre M. le duc d’Orléans, régent, prétendit, lorsqu’il fut sorti de sa prison, avoir pris des informations très-exactes au sujet de ce prisonnier, qui y avait été longtemps détenu. Il fit insérer à cette occasion une lettre dans l’Année littéraire de Fréron. Cette lettre dit bien en passant quelques injures à M. de Voltaire, mais ne nous apprend pas sur l’homme au masque de fer la plus légère circonstance de plus que l’article du Siècle de Louis XIV, excepté que La Grange-Chancel prétend que ce prisonnier était le duc de Beaufort, grand amiral de France, qui passait pour avoir été tué au siège de Candie, où l’on ne put jamais retrouver son corps. Permis à La Grange-Chancel de penser et d’imprimer cette

  1. Ce manuscrit infiniment précieux passa, en 1769, de la bibliothèque de M. Gaignat dans celle de M. de Choiseul, ministre de la guerre, pour le prix de dix mille livres. De cette bibliothèque il passa dans les mains de M. Debure père, libraire recommandable par l’étendue de ses connaissances bibliographiques. Il le garda quelque temps et le vendit ensuite à M. Paris, parent de M. Paris de Montmartel, dont la bibliothèque, transportée en Angleterre vers la fin de l’année 1789, y fut vendue publiquement au mois de mars 1791. Le manuscrit des Contes de La Fontaine, qui en faisait partie, fut alors acheté par un riche amateur, la somme de trois cent quinze livres sterling, représentant sept mille cinq cent soixante francs. On ignore le sort ultérieur de ce chef-d’œuvre. (Premiers éditeurs.) — Racheté par M. H. de La Bédoyère, il aurait été vendu à l’amiable, par les héritiers de celui-ci, à un amateur anglais bien connu à Paris, M. J. Hankey.