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AOUT 1768.

réussir au théâtre ; aussi n’a-t-on jamais tenté de jouer aucune des pièces de ce recueil. Le Jardinier de Sidon est du nombre de ces pièces ; je n’ai pas eu le temps de le relire à cette occasion, je me souviens seulement qu’il me glaça lorsqu’il parut, et l’été n’a pas été assez chaud cette année pour s’exposer de gaieté de cœur à une épreuve aussi pénible. M. de Pleinchesne nous en a présenté un squelette effroyable, où il n’y a ni action, ni intérêt, ni situation, ni sens commun : un mélange détestable de sentiments nobles et d’expressions basses prouve le bon goût de l’auteur. Son jardinier parle tantôt comme un manant, tantôt il veut parler avec toute l’élévation d’un homme digne du trône ; mais c’est toujours du Pleinchesne qu’il nous siffle. Ô le vilain jargon ! Quant au style, c’est à M. de Moissy de voir s’il veut lui céder le pas. L’amoureuse de M. de Pleinchesne dit à son amant :

Et l’amour, ami du printemps,
Fera fleurir tous nos instants.


Cela vaut bien la serre chaude de M. de Moissy.

Metastasio a traité le même sujet dans son opéra intitulé il Re pastore, le Roi pasteur. On n’a pas besoin de sortir des bruyères arides de M. de Pleinchesne, remplies de ronces et de chardons, pour sentir tout le charme de marcher dans les prairies délicieuses du divin Metastasio. Quelle touche gracieuse et aimable ! quel coloris doux et enchanteur ! Ce grand poëte a conservé le rôle d’Alexandre, parce qu’il a voulu traiter ce sujet dans le genre le plus noble. Cependant, car il faut tout dire, quand on lit à la tête d’une pièce le Roi pasteur, on s’attend à autre chose qu’à voir un berger élevé par Alexandre sur le trône de Sidon en vertu des droits de sa naissance, uniquement occupé de sa passion pour sa bergère, et mettant toute sa gloire à renoncer plutôt au trône qu’à son amour. Cette prétendue générosité est imitée par un autre couple amoureux, qui, suivant l’usage de l’opéra italien, forme une seconde intrigue subordonnée à la principale. Le grand Alexandre est enchanté de trouver tant d’amour et de fidélité dans le roi berger ; il en infère qu’il sera un excellent roi. Moi, je n’aurais pas raisonné comme Alexandre le Grand. J’ajoute que cette intrigue est nouée avec une extrême faiblesse, et que les malheurs dont les per-