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Le petit roman de l’Ingénu, dont M. de Voltaire nous fit présent l’année dernière, eut le succès le plus brillant. Un auteur qui n’aurait jamais fait que cette bagatelle serait compté à juste titre parmi les plus beaux esprits de la nation ; dans les chefs-d’œuvre de tout genre que nous devons au premier homme du siècle, ce petit roman est à peine aperçu et se perd dans la foule, ou s’il est compté parmi les titres de M. de Voltaire à l’immortalité, ce n’est que parce qu’il est sans exemple qu’un vieillard de soixante-quatorze ans ait conservé la chaleur et les grâces de l’imagination, les agréments et le charme des écrits de sa première jeunesse.
Le succès du roman a fait naître l’idée de procurer à l’Ingénu un établissement sur le théâtre de la Comédie-Italienne, parmi les notables de l’opéra-comique du nouveau genre. Il s’est fait afficher le Huron, comédie en deux actes et en vers, mêlée d’ariettes, et a pris son rang le 20 du mois passé au milieu des applaudissements et des acclamations du public. Il est vrai qu’il doit l’accueil qu’il a reçu principalement à son musicien et aux acteurs, et qu’on a dit avec assez de raison beaucoup de mal de l’auteur de la pièce ; mais, dans la disette absolue où nous sommes de poëtes qui entendent ce genre, il faut encore savoir gré à celui qui n’entraîne pas son musicien avec lui dans sa chute, ou le féliciter s’il a trouvé un compositeur assez excellent pour l’empêcher de tomber malgré tout ce qu’il a pu faire pour se casser le cou.
L’auteur du Huron a cette obligation à son musicien. Il n’avait qu’à faire mettre sa pièce en musique par M. Kohaut, et c’eût été un moyen infaillible de tomber tout à plat : le génie de M. Grétry a soutenu le poëte sur le bord du précipice où sa maussaderie et sa maladresse l’auraient infailliblement jeté ; grâce à ce charmant compositeur, le Huron restera même au théâtre, malgré tout ce que le poëte a fait pour l’en faire chasser.
Il n’a pas senti qu’il faut avoir tout juste le double de la