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Perceval, chevauchant tout armé pendant l’hiver, à travers une prairie « qui fut gelée et enneigie », voit passer une « route de gantes » [une bande d’oies sauvages]. Un faucon en abat une, et trois gouttes de sang tombent sur la neige. Le faucon s’étant envolé à l’approche de Perceval, celui-ci, toujours à cheval, s’appuie sur sa lance

Por esgarder cele semblance
Du sanc et de la noif [neige] ensemble.

Et ce mélange du « vermaux [vermeil] » et du blanc lui rappelle « la face s’amie bièle », le visage de la belle Blanchefleur.

Le noir qui, dans le conte maure du Prince muet, s’associe au blanc et au rouge, n’apparaît ni chez Chrétien, ni chez son imitateur allemand Wolfram von Eschenbach (livre VI, vers 73 et suiv.). Ce n’est pas en effet, un corbeau qui saigne sur la neige ; c’est une oie sauvage, anser cinereus : gris et rouge sur blanc, pas de noir… Après tout, la belle Blanchefleur de Chrétien (la belle Condwîrâmùr de Wolfram) était peut-être blonde.

La bien aimée de Peredur, — lequel, dans un récit gallois, un mabinogi de date inconnue, correspond à Perceval, — ne l’était certainement pas[1] :

Une abondante neige vient de tomber. Un faucon, qui a tué un oiseau sauvage (wild fowl), s'envole effarouché au bruit des pas du cheval de Peredur et laisse sur la neige sa proie ensanglantée. Un corbeau s'abat dessus, et Peredur compare le noir du corbeau, le blanc de la neige et le rouge du sang aux cheveux, au teint et aux deux pommettes de celle qu'il aime.

Trop d’oiseaux dans cette version, évidemment retravaillée, de l’épisode du Perceval ; car le corbeau n’intervient, à côté du faucon et de sa proie, que pour mettre dans la gamme des couleurs la note noire.

C’est un souvenir que la vue du sang sur la neige éveille chez Perceval, chez Peredur ; ce n’est pas, comme dans le conte maure, une aspiration vers quelque chose d’inconnu, vers un idéal de beauté, soudainement entrevu. Un autre écrit (oriental, celui-ci),

  1. Lady Charlotte Guest, The Mabinogion (Londres, 1838-1849), tome I, p. 324.