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Page:Cotret - Le sérum qui tue, grand guignol en 2 actes, 1928.djvu/6

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LE SÉRUM QUI TUE

Lancroix et sa fiancée, Andrée Pusannes. Ils sont charmants tous les deux… (D’un ton rêveur). Elle… surtout ! (Se reprenant). Je ne déjeûnerai donc pas ici. D’ailleurs, ça t’évitera ce trouble puisque la bonne est en congé pour la journée.

CÉCILE : (D’une voix tendre). Oh ! ce n’est jamais du trouble pour moi, tu sais !

JACQUES : (Toujours distrait). Oui ! Oui !… (Il va s’asseoir sur le divan et prend le livre que sa femme lisait). Tu ne liras donc toujours que des œuvres légères ?

CÉCILE : — Mais, Jacques ! Je ne suis toujours pas pour lire tes bouquins de médecine. Ils sont bien trop assommants pour moi !… ta chère petite ignorante… comme tu dis… des fois.

JACQUES : — Crois-tu ?

CÉCILE : (En riant). Oui, mon Jacquot !… Comme ça tu ne déjeûnes pas ici ? Je vais donc aller à la cuisine pour enlever le déjeûner que je t’avais préparé. (Avec un ton boudeur). Il m’a fallu déjeûner sans toi ! C’était si ennuyant… je voudrais toujours t’avoir avec moi, mon Jacques chéri !…

JACQUES : (Ennuyé). — Bien ! Bien !… va à ta cuisine. (Cécile sort par la porte de droite).


Scène III

JACQUES, seul.

JACQUES : (Il se lève, arpente la pièce, les mains derrière le dos, l’air rêveur. — Il monologue). Oui… charmante !… Elle est bien charmante… cette Andrée Pusannes… Pourquoi a-t-il fallu que je la rencontre sans cesse depuis un mois… depuis ce soir de bal où elle était dans le rayonnement de toute sa beauté ?… Quel heureux homme, tout de même, que ce vieux René !… Dire que je lui ai fait des propositions, à elle… Et de quelle manière hautaine m’a-t-elle aussi refusé… Oui… je sens que je l’aime d’un amour fou… qui ne reculera devant rien !… non !… rien !… Je la désire de toutes mes forces et je veux l’avoir. (Avec un geste d’ennui). Mais c’est ça ! je suis un homme marié moi !… Quelle entrave que cette Cécile !… Si j’étais garçon… veuf même… elle accepterait peut-être mes hommages !… (Autre geste de dépit). Mais là !… Il y a toujours Cécile !… (Avec désespoir). Oh ! que faire ! que faire pour l’avoir ?… (Il s’arrête et songe ; puis il porte la main à son front et la laisse tomber avec un geste brusque). Ah ! quelle horrible idée que j’ai là !… Non, ça ne se peut pas ! Pas ça !… Et pourtant, il me faut avoir cette Andrée coûte que coûte… (Il songe encore). Abandonner Cécile… non !… c’est impossible. Elle m’aime et serait toujours après moi comme une sangsue. Ce ne serait qu’une nouvelle série d’ennuis. (Il se prend la tête à deux mains). Que faire… juste Ciel !… que faire ?… (Il songe). Ah !… irai-je jusque là ?… pour l’amour qui me brûle et me dévore !… Irai-je jusqu’à me débarrasser de Cécile… Oh ! cette horrible tentation qui me poursuit ! Pourtant, il me faut Andrée… ou je vais en devenir fou !… Quelle entrave que ma femme !… Je ne vois qu’un seul moyen de m’en débarrasser… (Avec résolution). LA MORT !… Oh ! que c’est horrible… mais la tuer ? comment, sans demeurer impuni ? (Il songe). Il y a le revolver… mais ça s’entend, la balle se découvre… le poignard est aussi une arme solide… mais le sang qui demeure, pouah !… le poison !… et l’autopsie donc !… Que faire ?… (Il continue à se promener, l’air absorbé mais résolu, songeur). Tiens ! (Il s’arrête subitement). Mais ! je n’y avais pas pensé ! Mon sérum… mon sérum ! Il est justement au stage où il me servirait, ce sérum qui m’apportera peut-être la gloire, si je parviens à prévenir grâce à lui les crises épileptiques… (Avec un air d’explication à lui-même). Mes expériences m’ont prouvé qu’actuellement il ne sert qu’à provoquer des crises mortelles d’épilepsie plutôt que de les prévenir. Tous les animaux sur lesquels j’ai tenté l’injection sont morts dans une crise épileptique. Agira-t-il de même sur l’être humain ? Oh ! l’horrible expérience ! Mais !… si elle réussissait !… Je serais débarrassé de… Cécile et l’impunité serait pour moi ! La mort serait simplement attribuée à une crise épileptique… C’est ça… c’est ça !… J’ai trouvé ! Oh ! Andrée, je t’aurai ! Je serai libre et tu seras à moi ! (Avec exaltation). Oui ! il le faut !… Il le faut ! JE VAIS INJECTER DU SÉRUM À CÉCILE ! (Il continue de se promener, s’arrête). Ah ! il le faut !… je suis décidé. Mais, (s’interrogeant) en ai-je de ce sérum dans mon laboratoire, ici ?… (Il songe). … Allons voir !… (Il se dirige vers la porte gauche, et disparaît).