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les voies de l’amour

une phrase, traduire une pensée, exprimer un désir. Nous avions, chacun à l’insu de l’autre, acheté le petit livre du langage des fleurs. Nous l’avions étudié à fond et nous en possédions tous les secrets. Aussi chaque fleur que nous mettions dans un bouquet était une note de la lyre qui chante une romance. Quelquefois nous mettions toutes nos fleurs, assemblées en phrases amoureuses et sentimentales, dans le petit tablier en dentelle d’Andrée, et nous allions nous asseoir sur la pelouse au pied du gros érable dont les belles branches aux larges feuilles s’inclinaient au-dessus de l’onde qui baisait doucement la rive fleurie, et là nous déchiffrions la musique qui nous enchantait et berçait nos espoirs. Quand l’agencement des fleurs soumettait notre mémoire à l’épreuve, nous levions les yeux et nous regardions au loin dans l’espoir de retrouver le sens de la phrase. Un jour Andrée aperçut deux esquifs qui s’en allaient à la dérive, s’éloignant ou se rapprochant l’un de l’autre au gré du courant ou des remous, alors elle songea à l’avenir, et je vis de grosses larmes couler de ses beaux yeux. « Qu’as-tu, Andrée chérie, lui demandai-je ? » — « Ah ; le temps, le temps, me répondit-elle, n’est-ce pas le courant et les remous de ce fleuve qui séparent nos frêles barques ? » — « Michel, me disait-elle encore, j’ai peur du temps ; j’ai peur du fleuve, avec son courant et ses remous, qui séparera nos vies. Rentrons, Michel, je ne veux plus voir le fleuve