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LA QUESTION NÈGRE


26 septembre 1903.

La scène se passait dans un petit chemin de fer de Floride. Nous quittions Pablo-Beach où j’avais passé une après-midi de farniente à manger des oranges et à fumer des cigarettes sur une plage semée de palmiers nains ; le train de banlieue qui allait nous ramener à Jacksonville se composait de deux voitures, identiques d’ailleurs comme inconfort et comme malpropreté ; mais l’une réservée aux blancs et l’autre aux « gens de couleur », colored people. Lorsque je m’installai dans la première, elle comprenait trois Yankees à barbe poivre et sel qui crachaient alternativement, avec une remarquable habileté, dans un crachoir de cuivre placé à dix pas d’eux. Un peu plus loin se trouvait une dame élégamment vêtue ; elle pouvait avoir quarante-cinq ans ; ses beaux cheveux noirs, son regard très doux, son teint comme légèrement hâlé par le soleil lui composaient une physionomie fort agréable, empreinte d’un charme aristocratique. Au moment où le train allait partir, le conducteur vint lui parler à l’oreille : elle fit un geste de dénégation. L’homme insista ; sa parole devint brutale et inconvenante : sans s’émouvoir, la dame refusa à nouveau ce que le conducteur lui demandait. Celui-ci disparut aussitôt et revint quelques instants après, accompagné du mécanicien ; ils s’approchèrent de la récalcitrante et lui adressèrent une dernière fois la sommation d’avoir à passer dans le compartiment des « gens de couleur ». Les