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le sens critique

qui n’ont d’équivalent en aucun autre pays. Elle saura découvrir le vrai mérite, même s’il se cache, et l’inscrire à son rang ; elle conservera, jusque dans les emballements momentanés qu’inspire la mode, ce goût et ce sentiment de la mesure qui constituent le charme principal de ses manifestations. Faut-il en conclure que le sens critique n’a pas en politique la même origine et les mêmes caractères qu’en art ou en littérature ? Cependant il est fait pareillement d’expérience, d’équilibre et d’intelligence et, si nous pouvons, nous autres Français, appliquer ces qualités-là à certains objets, d’où vient que nous ne puissions les appliquer à d’autres ? Ce sont bien celles à l’aide desquelles la France a établi solidement sa royauté dans le domaine de la pensée et dans celui de la beauté ; ce sont également celles qui, depuis plus de cent ans, tout au moins, lui ont fait presque constamment défaut sur le terrain constitutionnel et gouvernemental. Aujourd’hui que quelque apaisement commence à se répandre à travers l’histoire encore proche de ce dix-neuvième siècle si plein, pour nous, de surprises et de secousses, nous percevons combien les divers régimes que nous avons successivement renversés surpassaient la moyenne et quels avantages nous aurions retirés d’une plus juste appréciation de leurs mérites. Que d’hommes distingués, éminents même, ont composé les états-majors politiques de la Restauration et de la monarchie de Juillet ! Que de bonne volonté et de généreuse abnégation se manifestèrent parmi les citoyens de la deuxième République ! À certains tournants du second Empire, sinon à tous, que de belles occasions de progrès se sont offertes ! Combien enfin les deux partis qui ont tour à tour exercé le pouvoir entre 1870 et 1895 y ont apporté de qualités sérieuses et d’aspirations respectables ! L’opinion a pourtant méconnu tout cela. Elle a accueilli et propagé tour à tour contre les dirigeants de l’heure présente les légendes les plus absurdes, les accusations les moins défendables, quitte à leur rendre ensuite une justice tardive et stérile. Et ce n’était pas toujours — comme on l’a prétendu — par esprit frondeur, par tendance