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l’usine britannique

Le public school tel que le trouva Arnold n’était qu’un chaos : Arnold en fit une usine. Une usine de force musculaire ?… non pas ; mais une usine de force sociale. Toute l’œuvre du grand pédagogue et ce par quoi il devint l’un des premiers créateurs de la puissance anglo-saxonne, c’est ceci : il constitua le collège à l’image de la société et fît de la vie scolaire le premier chapitre de la vie sociale.

L’idée en avait hanté d’autres avant lui ; quelques tentatives étaient même intervenues que leur insuccès a fait sombrer dans l’oubli. Mais la société scolaire ainsi ébauchée était toujours une société idéale où régnait l’équité, où dominait l’esprit de justice. Nul n’avait osé ni même pensé qu’on pût oser ce que fit Arnold : introduire de plain-pied parmi les adolescents qui vont devenir des hommes tous les rouages sociaux caractéristiques du temps présent, tous ceux dont se servent les hommes ou qui les actionnent : l’élection et l’association, la presse et la parole publique, l’antagonisme et la solidarité, la notion du devoir civique et celle de l’intérêt individuel, — avec le cortège de qualités et de défauts que comporte le jeu de ces forces contraires, avec l’exagération inévitable qu’il introduit dans les succès comme dans les déboires. Certes, Arnold cherchait à doser le mélange et, de plus, il veillait, toujours prêt à secourir les jeunes consciences qui se formaient dans cette bataille ; mais d’avoir exigé qu’elles affrontassent de tels périls ne constituait-il pas une recette pédagogique qui dépasse de beaucoup par sa hardiesse toutes celles que le monde a jamais appliquées ? Et si l’on ajoute que ce clergyman d’une piété si pure et si haute imposait autour de lui une tolérance religieuse absolue, n’admettant point par exemple que ses élèves fissent leur première communion autrement que par un acte réfléchi de leur volonté nettement exprimée, on conviendra qu’un tel éducateur ne ressemble à nul autre et qu’il faut y regarder à deux fois avant de condamner ses doctrines et d’entamer son ouvrage.