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1453 et 1905

Japonais ne viennent-ils pas d’instaurer une question d’Extrême-Orient dont on n’avait vécu jusqu’ici que la préface, et qui troublera le repos de l’Europe aussi douloureusement que l’avait troublé la question d’Orient créée par les Turcs ?

Mais vraiment, cette question d’Orient — maintenant que nous la pouvons juger un peu à vol d’oiseau et en saisir l’ensemble — fut-elle si terrible ? Qui oserait nier que la peur absurde, incompréhensible qu’en eurent les chancelleries n’ait engendré infiniment plus de dommages que n’en comportait l’obligation de limiter et de tenir en échec la puissance ottomane ? Une parole grandiloquente dite par Napoléon à Alexandre : « Constantinople, c’est l’empire du monde » — une comparaison devenue le lieu commun de tous les gratte-papier : « Les Balkans sont la poudrière de l’Europe, » voilà de quels documents s’arme l’opinion. Ajoutez-y un autre élément, le ressouvenir atavique du frisson que fit longtemps courir à travers la chrétienté le renom sanguinaire des fils de l’Islam — et vous aurez toute la question d’Orient avec ses souris prises pour des montagnes, ses reculs maladroits, ses inquiétudes sans cause et ses précautions saugrenues.

Prenons garde de ne pas appliquer le même traitement à ce que nous appelons la question d’Extrême-Orient. Port-Arthur ne sera jamais une clef d’empire et la dynamite universelle ne se trouve pas concentrée en Mandchourie. Que savons-nous surtout des Japonais ? Les Turcs furent autrement redoutables lorsque, après Mohacz, leurs frontières s’étendirent le long du Dniester et s’approchèrent de Presbourg. Pourtant ils n’ont rien fondé, rien métamorphosé, rien amalgamé. C’est qu’ils n’étaient organisés que pour la guerre et ne voyaient dans la paix que la digestion du butin. La formule japonaise diffère-t-elle donc essentiellement de la leur ? Ce n’est pas probable. On l’a rajeunie ; son mode est up to date et l’est avec une perfection qui nous remplit de stupeur et d’une juste admiration. Mais, au fond… que valent ces hommes et par quel mystère nous auraient-ils rejoints ? Il n’est pas d’exemple que des nations