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terre de californie

Et voilà pourtant ce qui créera l’avenir de ce pays, avenir d’art et de poésie dont la traînée royale apparaît déjà sur l’horizon. La Californie vient de traverser un demi-siècle de folles agitations et de secousses successives. À peine les premiers colons entreprenaient-ils de demander à son sol un rendement régulier que le cyclone de l’or passa sur elle, emportant les bons éléments déjà trop rares pour y substituer le fâcheux grouillement des centres miniers. Des jours vinrent où, dans San-Francisco transformé en antre de perdition, l’effort révolutionnaire des honnêtes gens dut intervenir ; les fameux « Comités de vigilance » de 1851 et de 1866 usèrent largement des méthodes expéditives appliquées naguère par le Comité de Salut public à des cas certes moins pressants. Et plus tard les spéculations, les paniques, le mouvement socialiste de 1877 contribuèrent à organiser une société singulièrement instable, manquant de toutes les bases habituelles, n’ayant ni unité ni but, essentiellement étrangère à l’idéal américain commun à l’ensemble des citoyens des États-Unis, dont il semblait enfin que le nouveau monde ne pût attendre aucun progrès véritable et dût au contraire redouter beaucoup d’imprudences, d’erreurs et de fautes.

Les éléments bigarrés qui composent cette société californienne sont loin, certes, d’avoir fusionné en un tout harmonieux. Le travail qui s’est opéré dans son sein n’en est pas moins visible et suggestif. Il y a des lieux privilégiés dont les lignes, les couleurs, les émanations opèrent sur l’homme au rebours de ce que sembleraient annoncer la race et l’éducation. Pourquoi le sens de la poésie et des arts germerait-il là-bas ? Rien dans le caractère et dans les entreprises de leurs ancêtres n’a marqué les Californiens pour une tâche immatérielle. L’instinct s’en révèle pourtant : on le voit sourdre timidement, en gouttelettes… Paroles, gestes, chants, l’arrangement d’une fête, l’ordonnance d’un spectacle, un croquis sur le coin d’un menu, une sérénade improvisée, la proportion d’un balustre ou l’à-propos d’un sonnet suffisent à montrer partout présent et