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tinal désignent les bureaux du gouvernement occulte qui enserre l’Irlande dans son bras puissant.

……… Le policeman qui veille à la grille de Broadstone-station s’est endormi et le donneur de tickets est bien près d’en faire autant.… Lentement, douloureusement, bien que peu chargé, le train s’ébranle sur les rails qui aboutissent de l’autre côté de l’île dans la vieille cité de Galway.


I


Qui aurait jamais cru le bon Dieu susceptible d’éprouver des distractions ; or il en eût au moins une et c’est le comté de Galway qui en a ressenti les effets. La chose se passait aux premiers jours du monde ; la terre qui n’est vraiment pas mal après tant de siècles devait alors être éclatante de fraîcheur…… et le bon Dieu la contemplait de sa fenêtre ; son regard satisfait errait sur les continents, leurs montagnes et leurs forêts, puis sur la surface infinie de l’Océan dont il avait récemment prononcé le divorce d’avec la terre. Mais il est certain (tous les contemporains s’accordent à le dire) que ce que le Bon Dieu regardait avec le plus de plaisir et de fierté, c’était la verte Erin qu’il venait d’achever……… pour la mieux voir il sortit sur son balcon tenant à la main un grand sac de pierres grises lesquelles dans sa pensée devaient s’harmoniser gracieusement avec la sombre verdure des sapins et l’herbe pâle des prairies.

Qu’elle était jolie, la verte Erin, comme une oasis flottant sur la mer ; ses lacs reposaient doucement et les flots pressés de ses rivières emportaient au rivage, le reflet d’un ciel toujours bleu (de ce bleu fin du Nord) que la méchanceté des hommes n’avait pas encore obscurci de nuages. Le bon Dieu, dit la légende, ne se tint plus de joie à ce spectacle.… et fit une gambade. Le sac s’ouvrit et les pierres grises s’en allèrent toutes s’abattre sur le comté de Galway. Le bon Dieu se consola en songeant, sur la remarque de St-Hubert, que les habitants du comté seraient des habits rouges émérites et qu’ils s’amuseraient infiniment à sauter les murs de pierres grises.

Voilà l’histoire dans son irrespectueuse naïveté ; elle donne au moins une exacte notion des paysages que je contemple et dans lesquels les pierres grises jouent le rôle principal. Elles bordent les routes, limitent les près, clôturent les parcs, entourent les chaumières, sans ciment, posées les unes sur les autres au point qu’en se baissant l’on peut voir le ciel dans les interstices : le charretier d’un coup de pied y fait une brèche pour sa charrette et referme derrière lui cette porte improvisée ; mais partout mêlées la verdure et la pierre restent partout distinctes ; pas de plantes grimpantes ; sur les pignons en ruines le lierre même n’avance qu’avec précaution comme s’il trouvait ce roc trop froid pour lui.