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l’éducation anglaise.

propos pour faire la moindre chose. Et puis jetez les yeux sur un pays tout voisin, aussi chrétien et civilisé que le nôtre : là plus les enfants grandissent, plus ils jouent ; — non seulement on les livre beaucoup à eux-mêmes, mais on estime que cela est nécessaire à leur formation physique et morale ; on a pour mot d’ordre cette formule : le moins de règlement possible ; — on n’inspecte pas leurs lettres et on le laisse s’abonner à des journaux illustrés et à des revues ; — on regarde la solitude comme indispensable et tout marche avec quelques maitres qui professent et dirigent à la fois. Est-il un contraste pareil ? peut-on imaginer rien de plus dissemblable ?

Pas de rangs, pas de cloche, pas de notes, pas d’études fixes, peu de silence… et pas d’abondance ! Si vos enfants, Messieurs, m’entendaient énoncer ce programme négatif, ils l’applaudiraient à outrance et vous conjureraient de leur faire passer le détroit. Je suis persuadé toutefois que leur enthousiasme tomberait vite ; ils se trouveraient abandonnés et sentiraient le vide autour d’eux ; cette perpétuelle responsabilité leur semblerait un fardeau trop lourd et, pour y résister, il leur faudrait déployer une énergie double de celle de leurs condisciples. Les public schools ont parfois reçu et gardé des élèves français que la trempe de leur caractère rendait propres à en bénéficier ; ils en sortaient sans avoir rien perdu des qualités incomparables qui sont l’apanage de leur race, et aux Anglais ils avaient pris l’initiative, la décision, l’audace et le bon sens que nous envions ; le cœur ne leur manquait point ensuite pour rattraper par un travail assidu leurs camarades d’autrefois qui les avaient distancés sur le terrain de l’instruction.

Aux approches de Douvres, on distingue un vallon ondoyant, au centre duquel s’élève la métropole religieuse du Royaume-Uni ; c’est là que ceux auxquels notre gouvernement a voulu enlever l’honneur d’enseigner le culte de Dieu et de la France ont trouvé un asile sous la protection d’un pays vraiment libre. — On a quelquefois éprouvé le regret que cet exil ne profite pas mieux aux enfants qui l’affrontent : il faut la persécution pour qu’un collège français se fonde à l’étranger ; ne pourrait-on mettre la circonstance à profit pour élargir un peu le cercle des idées et des coutumes ?

En tous cas, si les élèves de Cantorbéry ne jouissent pas des bienfaits de l’éducation anglaise, leurs yeux se reposent sur des arbres et sur des champs, leurs poumons aspirent un air vivifiant : c’est beaucoup. Mais il y a des arbres et des champs et de l’air pur en France. Ne verrons-nous jamais se bâtir, sur notre sol, des lycées campagnards — et se fermer ces grandes boîtes de pierre qui sont les Mazas de l’éducation ? (Applaudissements).